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1664

Samuel Sorbière, Relation d'un voyage en Angleterre

Paris, Billaine, 1664.

Discours sur la comédie anglaise

Au sein de sa relation d'Angleterre, Sorbière réserve une place importante à un discours sur la comédie des Anglais :

La comédie est bien plus divertissante et plus commode aux entretiens. Les meilleures places sont celles du parterre, où les hommes et les femmes sont assis pêle-mêle, chacun avec ceux de sa bande. Le théâtre est fort beau, couvert d'un tapis vert, et la scène y est toute libre, avec beaucoup de changements et de perspectives. La symphonie y fait attendre agréablement l'ouverture du théâtre et on y va volontiers de bonne heure pour l'écouter. Les acteurs et les actrices y sont admirables, à ce que l'on m'a dit, et même à ce que j'en peux comprendre au geste et à la prononciation. Mais les comédies n'auraient pas en France toutes l'approbation qu'elles ont en Angleterre. Les poètes se moquent de l'uniformité du lieu, et de la règle des vingt-quatre heures. Ils font des comédies de vingt-cinq ans et après avoir représenté au premier acte le mariage d'un prince, ils représentent tout d'une suite les belles actions de son fils et lui font voir bien du pays. Ils se piquent surtout de faire d'excellents caractères des passions, des vices et des vertus. En en cela, ils réussissent assez bien. Pour dépeindre un avare, ils en font faire à un homme toutes les plus basses actions qui se patiquent en divers âges, en diverses rencontres, et en diverses professions. Et il ne leur importe que ce soit un pot-pourri, parce qu'ils n'en regardent, disent-ils, qu'une partie après l'autre, sans se soucier du total. [s'en suit un discours sur l'éloquence anglaise, bâtie de la même façon] Les comédies sont en prose mesurée, qui a plus de rapport au langage ordinaire que nos vers, et qui rend quelque mélodie. Ils ne peuvent s'imaginer que ce ne soit une chose importune d'avoir continuellement l'oreille frappée de la même cadence et ils disent que d'entendre parler deux ou trois heures en vers alexandrins et voir sauter de césure en césure est une manière de s'exprimer moins naturelle et moins divertissante. En effet il semble qu'elle s'éloigne autant de ce qui se pratique dans le monde et par conséquent de ce que l'on veut représenter que la manière italienne de réciter les comédies en musique s'égare et extravague au-delà de la nôtre. Mais il ne faut pas disputer des goûts et il vaut mieux laisser chacun abonder en son sens. Ce n'est pas en cette rencontre seulement que l'on peut remarquer que l'homme se plaît fort à la bagatelle, et qu'un de ses plus grands plaisirs est celui de s'imposer à soi-même ou de se remplir la tête de quelque illusion, dont il se divertisse, jusqu'à ce qu'une autre lui succède. Et de cette façon les chansons et les modes nouvelles nous semblent toujours plus galantes et les mieux imaginées. Il en est de même en bien d'autres choses, sur quoi il y aura à raisonner quand nous en aurons le loisir. Tant y a que les comédies anglaises sont presque toutes en prose ; et j'en ai apporté un volume que la marquise de Newcastle a composées et par lesquelles j'ai été bien de faire voir en France, comme aussi par trois autres volumes des oeuvres poétiques, politiques et philosophiques de cette dame, que le bel esprit, le bon sens, se trouvent partout.

Édition pirate de 1666 disponible sur Google Books, p. 137-142.


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