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1670

Jean Donneau de Visé, Les Amours de Vénus et d'Adonis

Paris : C. Barbin, 1670

Excès d'actrice

Cette préface semble répondre à un malentendu lors de la représentation : à cause d'un jeu d'actrice trop vraisemblable, certains spectateurs ont mal interprété les intentions de l'auteur. Il insiste aussi sur le critère du nombre d'approbateurs comparé au nombre de critiques pour assurer la validité de sa pièce.

Quoique les préfaces ne soient pas toujours nécessaires, personne ne s'est encore avisé de les condamner, à cause qu'elles sont autorisées par l'usage, qui fait souvent approuver les choses auxquelles autrement on trouverait à redire. Je ne forgerai point dans celle-ci (comme plusieurs font souvent) des monstres pour les combattre, et je ne m'abaisserai point afin de m'élever. Je crois que ma pièce a plu, puisqu'elle a été jouée plus de trois mois et que, pendant tout ce temps, elle a reçu beaucoup d'applaudissements. Peut-être que parmi un si grand nombre de spectateurs, il s'en est trouvé quelques critiques. Mais il est inouï qu'il y ait encore rien eu de généralement approuvé ; et dans ces sortes de choses, la plus grande partie est toujours prise pour le tout ; et quand le nombre des approbateurs passe celui des critiques, on peut se vanter d'avoir réussi. J'ai trouvé des gens parmi d'autres, qui faute d'attachement, n'ont pas approuvé un endroit qu'ils ont néanmoins trouvé beau. C'est le récit que Chriseis fait à Mars dans le troisième acte, lorsqu'elle dit qu'elle vient de rencontrer Adonis et Vénus. Le caractère de jalouse de l'actrice, et l'ardeur avec laquelle elle est entrée dans la passion, ont fait que l'on s'est imaginé tout autre chose que ce qu'elle disait ; que l'on a pris garde davantage à l'agitation de son cœur qu'à ses paroles, et que l'on n'a pas examiné que ce qu'elle raconte s'est fait en pleine campagne, aux yeux de tout le monde, et qu'Adonis n'a fait que baiser les mains de Vénus. On doit prendre garde aussi que ce récit est fait par une jalouse, qui ne saurait souffrir que ce qu'elle aime soit avec une autre, et qui croit en ce moment tout ce qu'elle appréhende ;et quand j'ai fait cette scène, mon dessein était plutôt de faire voir sa rage que de représenter ce qu'on s'est imaginé. Je voudrais être souvent obligé de me justifier sur de pareils endroits, et être assuré de faire toujours des choses qui plussent autant à tout le monde que cette scène.

Préface en ligne sur la Bibliothèque Numérique de Nîmes p. 11


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