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1670

César François de Préfontaine, Le Poète extravagant

Paris, [s. l.], 1670.

Composer pour le public

Le poète ridicule que cette nouvelle met en scène est en train de songer à la composition d'une comédie. L'un des principaux objet de sa pensée consiste dans le succès public qu'elle est à même de rencontrer.

Quelquefois il bourdonnait comme un essaim de mouches à miel qui sort en confusion de sa ruche et quelquefois il poussait une voix plus intelligible, mais de telle sorte à bâtons rompus qu’il n’y avait aucun ordre ni suite à tout ce qu’il disait. Il proférait deux ou trois paroles tirées de quelque belle sentence et aussitôt, quittant son sujet, il rentrait dans un autre.
« Cela prend assez bien le tour du théâtre », disait-il. Puis, se contrariant soi-même : « Mais que veux-je faire ? ». Et aussitôt, par une autre contradiction, « Pourquoi non ? Ma veine est assez forte et quelle ardeur poétique peuvent avoir eu ou avoir à présent plus que moi des messieurs de Corneille, de L’Etoile, de la Serre, Boyer, Pibrac, Beys, Desportes, Molière, Hardy, Malherbe, La Calprenède, Ronsard, d’Ouville, Boisrobert, Chevalier, Montfleury, Tristan, Boursault, Scudéry, Ménage, Racine, Boileau, de Subligny et plusieurs autres, dont les compositions servent seulement de spectacle à cinq ou six cent personnes qui se trouvent enfermées dans le parterre d’un Hôtel de Bourgogne ou ailleurs ? Les miennes, qui se produisent hardiment, attirent pour spectateurs tous les passants, qui sont en tel nombre qu’un grand parc ne suffirait qu’à peine pour les contenir. Hasardons le paquet, poussons notre mérite et nous nous faisons admirer partout. Je veux dorénavant que mon nom paraisse en lettres rouges aux coins des rues, aussi bien que ceux de ces auteurs célèbres. J’ai trop employé d’années à composer des étrennes et des chansons bachiques. Mais comme l’on dit, Paris, n’a pas été fait tout en un jour. Sus, donc, ceci sera bon pour une pièce en trois actes. Toutefois non : suffira l’un pour le ridicule. Ces autres-ci sont héroïques et propres à un grand ouvrage. Ceux-là sont alexandrins et assez forts, il faudra voir ce que nous en ferons, voici qui ne sera pas mauvais pour une satire. »

Il disait tout cela sans manier alors aucun papier, faisant seulement des signes avec ses doigts, de quoi il touchait son front comme s’il eût voulut sonder sa cervelle.

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