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1654

[Anonyme], Clorinde

2 vol., Paris, Courbé, 1654.

Spectatrice des jeux du cirque

La protagoniste de cette histoire assiste aux jeux du cirque donnés par l’empereur Sylla. Elle y rencontrera un homme de qualité, rencontre qui donnera lieu à la suite de l’histoire. Bien qu'il ne s'agisse pas de théâtre, la description des réactions d'une spectatrice fait l'intérêt de l'extrait :

Il n’y avait pas plus d’un mois que nous y étions [à Rome] lorsque Sylla, afin de complaire au peuple et de l’empêcher de s’apercevoir et de se repentir de la faute qu’il avait faite quand il l’avait nommé dictateur perpétuel, donna quatre jours de suite des jeux où l’on voyait chaque jour cinquante couples de gladiateurs qui avaient des habits particuliers et des armes différentes, mais qui combattaient tous à outrance. Mon père voulut que ma mère nous y menât mon frère et moi. Il avait alors dix ans et j’en avais approchant de quatorze. Je ne vous saurais dire avec combien de répugnance je la suivis et avec combien d’horreur je fus présente à ce spectacle. Le premier jour, le second et le troisième, j’eus toujours les yeux baissés sur la place où j’étais assise, et quelque applaudissement que l’on donnât aux belles actions des gladiateurs, je ne les regardai que rarement et j’en emportai à la maison des images si funestes que je passai les nuits suivantes dans des inquiétudes continuelles.

Le quatrième jour ne m’y trouva plus plus disposée. Il m’était impossible de m’accoutumer aux objets sanglants qui paraissaient sur l’arène où l’on faisait ces combats. Et quoique l’on prenne à Rome cette tendresse pour un défaut de courage, j’aimais mieux être moins romaine que d’avoir cet endurcissement de coeur qui me semblait surhumain. Pour dernier spectacle, on fit sortir d’un côté vingt hommes à cheval armés de toutes pièces et autant de l’autre. Il se rencontrèrent et se mêlèrent avec tant de furie que nous soldats ne combattent pas autrement dans une bataille rangée. Le bruit qu’ils firent à ce premier choc et les cris du peuple m’obligèrent de jeter les yeux sur eux. Les armes blanches des uns et celles des autres qui étaient rouges me les firent incontinent discerner et, comme j’avais appris appris que Sylla et mon père favorisaient la couleur des premiers, ce fut avec quelque déplaisir que je les vis reculer et que j’en vis tomber plus de la moitié entre les pieds des chevaux. Cette sorte de combat ne me fit pas tant de frayeur que les autres et, comme elle avait quelque chose de plus guerrier et de plus ordinaire, je me résolus de la regarder jusques à la fin. On remarqua bientôt au visage de Sylla l’intérêt qu’il prenait dans la défaite de ceux qui portaient les armes blanches et, s’il ne fût arrivé quelque changement, cette journée n’eût pas eu une issue fort agréable. Mais la victoire changea de parti et la valeur d’un seul, le faisant reconnaître à ses coups dont la plupart étaient mortels arrêta les regards et l’admiration de tout le monde.

Clorinde, vol. I, Paris, Courbé, 1654, p. 61-65.


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