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1637

Onésime Sommain Claireville, Le Gascon extravagant

Paris, Besogne, 1637.

Intégrer une troupe des comédiens

Le protagoniste du roman réussit brillamment à s'intégrer dans une troupe de comédiens de passage :

Le lendemain je fus dans l’hôtellerie où les comédiens étaient logés, je me fis connaître à eux et leur témoignai que je serais bien aise de me mettre de leur troupe. Ils ne me firent pas espérer d’abord qu’ils le désirassent, mais seulement me remerciant de la bonne volonté que j’avais pour eux, ils me prièrent de déjeuner et de leur tenir compagnie jusques à ce qu’ils fussent sur le point de changer de lieu. Je leur accordai tout ce qu’ils me demandèrent et demeurai toujours avec eux sans rien dépenser du mien.

L’heure de la comédie étant venue, ils me donnèrent quelques hardes pour porter au jeu de paume où le théâtre était dressé avec une décoration merveilleuse. Puis après qu’ils y furent tous arrivés, ils s’habillèrent et me prièrent de me disposer à jouer à la farce. Pour cet effet ils laissèrent Michau Cropière avec moi, qui me fit ma leçon. Le désir que j’avais de voir principalement deux actrices qui sans difficulté étaient en état de charmer plus que les vers de la tragédie, je le priai de faire court pour me donner le loisir de les voir représenter leur rôle. Je me mis derrière la tapisserie à un coin du théâtre, et de l’autre, je vis un personnage qui était assis dans une chaise comme un vénérable prélat. J’étais en peine de savoir qui était ce révérend à qui même je voyais que les principaux acteurs allaient souvent parler en l’oreille avec respect et principalement à la fin des actes. Quelquefois, si quelque chose de la tragédie n’allait pas bien ou qu’un vers traînait plus qu’il ne fallait, ou qu’une bonne pensée ne fût pas proférée avec du poids et le bon accent, ou que quelque partie de la scène ne fût pas récitée avec une gravité requise, je considérais cet admirateur qui se frottait la tête, se tirait la barbe, changeait de contenance et montrait à sa mine que quelque chose le fâchait. Je mourrais d’impatience de savoir qui il était et pourquoi on parlait si souvent à lui. Enfin, je me levai et demandai à un des acteurs qui il était. « C’est Monsieur notre auteur », me dit-il. Je voulus encore savoir pourquoi on allait si souvent parler à lui. Il me répondit qu’on lui demandait à la fin de l’acte s’il trouvait qu’ils eussent bien fait. Tellement que de sa réponse je tirai des conséquences nécessaires et conclus que les poètes ont bien autant de vanité que de vers en l’esprit. Je jugeai du depuis que la tragédie lui plut dans l’applaudissement qu’on en fit.

Il y avait deux femmes que tout le monde admirait, elles étaient parfaitement bien ajustées et celle qui représentait Lucrèce faisait quasi croire que c’était véritablement celle dont l’Antiquité a loué le nom. Moi-même je fus vaincu et ravi au point que je ne me connais pas. Je n’avais jamais vu femme parler avec si bonne grâce, toutes les actions étaient des charmes pour les spectateurs et sa beauté, qui paraissait sans seconde, donnait de l’amour à tous les assistants. Je souhaitais alors qu’il prît envie aux principaux de la troupe de me mettre avec eux et quand bien ils ne m’eussent rien voulu donner, je n’eusse pas laissé de les suivre tant que mon argent eût duré.

Après la comédie, plusieurs honnêtes gens montèrent sur le théâtre, dont l’un s’arrêtait à louer l’auteur et le flattait par des cajoleries non pareilles. L’autre discourait avec un acteur et disait qu’ils avaient représenté la tragédie si naïvement qu’on eût dit voir la chose même. Les autres prenaient le parti des femmes qui d’ordinaire dans cette profession sont libres et prennent plaisir de donner des libertés qui engagent bien souvent ceux qui s’arrêtent à les cajoler. Elles ne sont point avaricieuses de regards, elles se servent d’artifices pour attirer dans leurs filets ceux qui n’ont pas l’esprit de se démêler de leur ruse, de manière que la plus grande partie de ceux qui causaient avec elles ne s’en retirait jamais sans blessures.

Quelques-uns les accompagnaient jusques au logis et se rendaient si fort importuns que toute la compagnie en recevait souvent de l’incommodité. Mais ils souffraient leur mal par considération et non pas sans murmurer. S’ils avaient eu de la louange ce jour-là, ils tâchaient de faire encore mieux le lendemain et se préparaient pour représenter Les Deux Amis à la perfection. Ainsi, de plus en plus ils étaient aiguillonnés d’une certaine ambition qui faisait que le peuple était ravi et se contentait extrêmement d’eux. Je ne m’éloignais jamais de ceux à qui je pensais servir et faisais mon possible à les obliger pour qu’ils me reçussent parmi eux. Finalement je me sus ménager, de sorte que je me rendis nécessaire et ils jugèrent que je leur pouvais être utile. C’est pourquoi ils me demandent si j’étais encore dans la résolution de les suivre et que je m’entretiendrais jusques à ce que j’eusse appris des pièces pour représenter et tirer ma part. Ce que je leur promis, et dès l’heure, je fus immatriculé dans la troupe des comédiens et chacun depuis me traitait avec plus de franchise. […] Mais pourtant ma résolution était, me mettant avec les comédiens, de passer le temps oyeusement et me polir un peu dans la conversation, car j’ai toujours estimé qu’un homme se façonnait au théâtre et y apprenait merveilleusement bien l’art de vivre. […]

Or pour retourner aux comédies, je fis donc ma paction avec eux qui était que j’achèterais des habits et m’entretiendrais jusques à ce que j’eusse représenté quelque pièce pour en tirer ma part, et après de toutes les autres où j’aurais un personnage. Celle qui me fut premièrement distribuée furent Les Trahisons récompensées. Je l’étudiai avec tant d’affection que huit jours après, je savais parfaitement mon rôle. Alors il me fallut monter sur le théâtre, et ceux qui me virent représenter mon personnage dirent tout haut que j’avais parfaitement bien fait et que j’avais bonne grâce en récitant les vers. Aussi est-il véritable que souvent l’air dont on les prononce les fait estimer beaucoup meilleurs. Les comédiens, ayant vu que j’étais propre à cette vacation, me flattèrent par des faveurs qu’ils ne faisaient point aux autres et, d’autant qu’ils avaient vu que j’avais de l’argent et que je ne leur étais point en charge, ils étaient bien aises que je servisse d’ornement à la troupe, où de plus en plus je me rendis familier et enfin, amoureux de la belle Marotte. Elle était fille d’un comédien, la plus ravissante actrice de l’Europe et paraissait sur le théâtre comme le soleil au ciel. Sa beauté faisait honte aux plus belles qui vinssent à la comédie. Son port, son maintien, sa gravité lorsqu’elle représentait la femme d’un monarque l’eussent sans difficulté fait passer pour véritable reine. Et quand il fallait qu’elle discourût d’amour, elle usait d’artifices si mignards et de flatteries si naïves et naturelles qu’il était impossible de la voir sans s’en rendre amoureux. Il arrivait ordinairement que nous avions nos rôles ensemble. J’étais quasi toujours son amant, et les caresses et les protestations d’amour que je lui devais faire par feintise, je les faisais à dessein selon que ma passion me les dictait. Si parfois la nécessité de l’action l’obligeait à souffrir un baiser de moi ou que la règle de la comédie la forçât à m’en donner un autre, je sentais dans cet instant des ravissements qui me touchaient au-delà de l’imagination et perdais presque la mémoire de ce que je devais lui répondre. Je pense qu’elle ne fut pas longtemps à reconnaître que véritablement je l’aimais.

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