Par support > Paratextes de pièces de théâtre > Alizon, comédie dédiée aux jeunes veuves et aux vieilles filles

 

1637

Discret, Alizon, comédie dédiée aux jeunes veuves et aux vieilles filles

Paris: J. Guignard, 1637

Représentation perturbée

L'auteur prouve le succès de la représentation de sa comédie par le récit d'une anecdote originale.

Lecteur, après tant de rares et sérieux poèmes tragiques, qui depuis quelques mois ont paru sur le théâtre de nos comédiens avec tant d’éclat et d’admiration de chacun, que le seul bruit du Cid de monsieur Corneille a fait souhaiter par toutes les bonnes villes de la France qu’il y eût autant de troupes de Mondory qu’il y a maintenant de gendarmes dans la Flandre afin de jouir du contentement de la représentation de leurs merveilleuses tragédies, j’ai cru qu’en suite de ces sujets si graves et si tristes, il te fallait donner quelque pièce comique pour divertir ton esprit de leurs histoires mélancoliques. Et pour cet effet une dame de mes amies m’ayant fait le récit des grotesques et véritables amours de la veuve d’un pauvre bourgeois de Paris, j’en ai traité l’histoire en rime sous le nom d’Alizon Fleurie, avec des paroles les plus approchantes de la sorte de parler des personnages qui y sont introduits, et chacun selon sa condition, pour rendre le sujet plus risible, quoique de lui-même il soit extrêmement récréatif, intrigué et divertissant. Et je puis dire avec la même vérité, qu’en trois représentations que j’en ai fait faire dans les meilleures maisons de Paris, et devant un grand nombre de personnes qualifiées et de mérite, aucun ne s’y est ennuyé : tous les spectateurs en ont ri jusques au point que la femme d’un notaire pour ne tremper ni sa chemise, ni ses jupes, pissa dans le gant d’un gentilhomme qui l’avait amenée, et le jeta dans la cour, afin que la salle ne parut mouillée en la place où elle était. Je ne sais si un jeune avocat qui était proche d’elle en reçut quelque disgrâce, mais ne pouvant cacher sa mauvaise humeur, ou voulant paraître savant en l’art poétique, et comme si dans ces assemblées il n’y eût que lui de docte, pour faire éclater sa science, qui néanmoins est encore inconnue parmi les poètes et orateurs, [s]e plaignant tout haut d’avoir mal aux oreilles d’entendre des vers mal prononcés, fut querellé de quantité d’honnêtes gens, et sans le respect du lieu eût été injurieusement jeté hors la salle, bien qu’il eût quelque raison, car nul sans faute, dit le commun propos. Mais il fallait qu’il considérât que les acteurs n’étaient point comédiens, que je ne fais point profession d’être poète, que ma condition n’est point ignorée de lui, et que l’approbation générale était plus forte que son envie particulière, ce qui tenait lieu d’excuse contre son faible jugement, auquel toutefois je céderai toujours l’honneur dû aux poètes de sa qualité. Au surplus, lecteur, je t’avertis qu’encore que dans cette pièce j’aie mis des airs et des chansons à danser, les acteurs qui la représenteront comme extrêmement facile, en pourront chanter de celles qu’ils savent, sans s’astreindre à celles-là qui ne servent à mon sujet que pour en faire voir l’ordre et la suite, que tu ne trouveras pourtant ni dans les règles des vingt-quatre heures, ni sans rencontre de voyelles. Mais un sujet véritable est plus difficile à traiter que les fabuleux des auteurs du temps. Adieu.

Préface en ligne sur Les idées du théâtre 


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »