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1696

Jean-Antoine Romagnesi, La Tapisserie vivante

La Haye, C. Foulque, 1696,

Le droit de censeur

Cette préface revient sur les critiques que l'on trouve à cette époque lorsque les pièces françaises sont interprétées par les comédiens italiens. Elle évoque plus largement les processus de réception du théâtre.

Les scènes françaises qui ont été représentées sur le théâtre des comédiens italiens, quoique spirituelles et d'un style distingué, n'ont pas laissé d'être critiquées. Comme le droit de censeur ne s'achète point, on s'en approprie le titre sans se ruiner. Le plaisir de trouver à redire à tout ce qui n'est point sublime l'emporte souvent sur le sentiment commun qui soutient un ouvrage ; et lorsqu'une pièce attire chez eux une affluence de monde capable de la faire passer pour bonne, ne pouvant employer la critique à la détruire, l'on tourne le siècle en ridicule, publiant hautement que les sottises seules peuvent lui plaire et que le bon sens, le spirituel et le solide ne sont plus à la mode. Il s'est souvent trouvé des disputes sur ce chapitre. Les opinions, quoique partagées, ont enfin penché du coté de la raison ; la cabale s'est détruite. Mais, comme qui que ce soit n'aime à avoir l'entier démenti de ce qu'il a soutenu, les obstinés ont bien voulu avouer que les caractères qu'on peignait sur leur théâtre étaient assez bien imités ; que la critique, quoique piquante, ne passait point les bornes, que le style en était passable, mais que tout cela n'aurait aucun agrément sur celui des Français. Personne peut-être ne se serait avisé de faire révoquer ce dernier arrêt. Mais la beauté d'un ouvrage ne perd rien de son prix pour changer de lieu, et c'est ce qui m'a enhardi à soutenir le contraire dans La Tapisserie vivante. Ce sont plusieurs scènes prises de différents auteurs. Il y a cinq ans et plus que je me suis mis en tête de les insérer dans une comédie, et je puis dire que je n'y ai pas mal réussi, puisque les plus beaux esprits se sont fait un plaisir de la distinguer des pièces modernes et que nous représentons journellement. J'y ai ajouté si peu du mien que j'ose espérer que l'on ne distinguera point le méchant d'avec le bon, qui est en assez grand nombre. Il ne me reste plus qu'à prier le lecteur de ne point m'imputer à vanité le soin que j'ai pris de la faire imprimer.

Romagnesi, La Tapisserie vivante , La Haye, C. Foulque, 1696, NP 5-9


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