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1685

Jean de La Fontaine, Ouvrage de prose et de poésie des sieurs Maucroix et La Fontaine

Paris : C. Barbin, 1685

Réflexion sur les types

Dans l'Avertissement de cet ouvrage, La Fontaine anticipe les critiques qu'on pourrait faire aux trois dialogues platoniciens traduits par Maucroix, et justifie notamment le traitement des sophistes en faisant un parallèle avec les types des comédies :

Je passe maintenant au sophisme. Si on prétend que les entretiens du Lycée se devaient passer comme nos conversations ordinaires, on se trompe fort : nous ne cherchons qu'à nous amuser ; les Athéniens cherchaient aussi à s'instruire. En cela, il faut procéder avec quelque ordre. Qu'on en cherche de si nouveaux et de si aisés qu'on voudra, ceux qui prétendront les avoir trouvés n'auront fait autre chose que déguiser ces mêmes manières qu'ils blâment tant. Il n'y en a proprement qu'une, et celle-là est bien plus étrange dans nos écoles qu'elle n'était alors au Lycée et parmi l'Académie. Socrate en faisait un bon usage, les sophistes en abusaient : ils attiraient la jeunesse par de vaines subtilités qu'ils lui savaient fort bien vendre. Platon y voulut remédier en se moquant d'eux, ainsi que nous nous moquons de nos précieuses, de nos marquis, de nos entêtés, de nos ridicules de chaque espèce. Transposons-nous en ce siècle-là, ce sera d'excellentes comédies que ce philosophe nous aura données, tantôt aux dépens d'un faux dévot, d'un ignorant plein de vanité, d'un pédant : voilà proprement les caractères d'Eutyphron, d'Hippias et des deux sophistes. [...] Il ne faut donc pas que [pareilles subtilités] nous blessent, il faut au contraire s'en divertir, et considérer Euthydemus et Dionysidore comme le docteur de la comédie, qui de la parole que l'on profère prend occasion de dire une nouvelle sottise. Platon les combat eux et leurs pareils de leurs propres armes, sous prétexte d'apprendre d'eux : c'est le père de l'ironie. On a de la volupté à les voir ainsi confondus. Il les embarrasse eux-mêmes de telle sorte, qu'ils ne savent plus où ils en sont, et qu'ils sentent leur ignorance. Parmi tout cela leur persécuteur sait mêler des grâces infinies. Les circonstances du dialogue, les caractères des personnages, les interlocutions et les bienséances, le style élégant et noble, et qui tient en quelque façon de la poésie : toutes ces choses s'y rencontrent en un tel degré d'excellence, que la manière de raisonner n'a rien qui choque : on se laisse amuser insensiblement comme par une espèce de charme. Voilà ce qu'il faut considérer là-dessus : laissons-nous entraîner à notre plaisir, et ne cherchons pas matière de critiquer ; c'est une chose trop aisée à faire. Il y a bien plus de gloire à Platon d'avoir trouvé le secret de plaire dans les endroits mêmes qu'on reprendra : mais on ne les reprendra point si on se transporte en son siècle.

Texte en ligne sur Google Books, édition de 1826, p. 451.


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