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1670

Charles de Saint-Évremond, Lettre au comte de Lionne

Excès de cruauté dans Britannicus

Dans cette lettre au comte de Lionne datant de mars-avril 1670, Saint-Évremond prévoit un échec de Britannicus lors des représentations malgré les beaux vers que l'on trouve dans la tragédie :

Mais ne faisons pas souffrir plus longtemps une modestie aussi délicate que la vôtre, et passons au sentiment que vous me demandez du Britannicus. Je l'ai lu avec assez d'attention pour y remarquer de belles choses ; elles passent, à mon sens, l'Alexandre et l'Andromaque : les vers en sont plus magnifiques, et je ne serais pas étonné qu'on y trouvât du sublime. Cependant je déplore le malheur de cet auteur d'avoir si dignement travaillé sur un sujet qui ne peut souffrir une représentation agréable. En effet l'idée de Narcisse, d'Agrippine et de Néron, l'idée, dis-je, si noire et si horrible qu'on se fait de leurs crimes, ne saurait s'effacer de la mémoire du spectateur ; et quelques efforts qu'il fasse pour se défaire de la pensée de leurs cruautés, l'horreur qu'il s'en forme détruit en quelque manière la pièce.
Je ne désespère pas de ce nouveau génie, puisque la dissertation sur Alexandre l'a corrigé. Pour les caractères qu'il a merveilleusement bien représentés dans Britannicus, il serait à souhaiter qu'il fût toujours aussi docile ; l'on pourrait attendre de lui qu'il approcherait un jour d'assez près M. de Corneille.

éd. R. Ternois, Paris, Marcel Didier, 1967, t. I, p. 155-156.


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