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[s. d.]

Paul Scarron, Épître dédicatoire à Dame Guillemette

Être auteur de théâtre

Cette dédicace à Dame Guillemette, chienne de la sœur de Scarron, révèle sur un ton burlesque la perception des auteurs de théâtre selon Scarron :

(p. 156) Par Apollon, Guillemette, il n'y a rien de plus vrai ; et par le même Apollon, je vous jure que je ne pense pas avoir fait pour cela [être auteur] une fort grande prouesse ; encore qu'il y ait tantôt quatre ans que Toussaint Quinet rompt la tête à tous ceux qui vont et viennent dans la galerie du Palais, du Typhon et du Jodelet, qui m'ont fait fameux écrivain. Je consens aisément que mes œuvres ne passent que pour ce qu'on appelle fatras de livres, comme peuvent être quantité de comédies, et autres productions de demi beaux-esprits qui se vendent au Palais, que je n'estime guère plus que les almanachs de l'année passée, dans lesquels on voit, aussi bien que dans ces comédies, la mort d'un grand, trahisons en campagne, et autres telles inventions théâtrales. Certes ces productions serviraient dès la première impression d'enveloppe aux beurrières du marché neuf, s'il ne venait point de provinciaux à Paris, et si elles ne passaient à la vente, à la faveur de ces merveilleuses comédies, et de ces divertissants romans qui enrichissent ceux qui les font, et sont si souvent matière de guerre civile entre les libraires. [...]


(p. 160) Maintenant le cothurne et le brodequin ne sont plus exempts de crottes ; et des poètes, les uns ont abjuré la poésie, les autres ont pris parti chez les comédiens et les libraires. Soit que la nécessité soit mère de l'invention, ou que l'invention soit partie essentielle du poète, quelques poètes au grand collier ont eu celle d'aller chercher dans les finances ceux qui dépensaient leur bien aussi aisément qu'ils l'avaient amassé.


Il est vrai, chère Guillemette, que j'ai dédié une comédie à un homme de grande condition ; mais j'ai l'honneur d'être connu il y a longtemps de monsieur le bailli de Souvré, et je l'honore, et parce qu'il le vaut, et parce qu'il m'aime. Je suis de ceux qu'on oublie fort aisément quand on ne les voit point. C'est par son moyen que notre grande reine me continue tous les ans une pension que l'illustre maréchal de Schomberg m'a procurée, non pas à cause que je fais des vers à faire rire, mais parce que je suis le plus malheureux de tous les hommes, accablé d'une maladie étrange, qui ne finira qu'avec ma vie, non plus qu'un grand procès duquel dépend tout mon bien.

Genève : Slatkine reprints, 1970, t. I, p. 155.


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