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1637

Jean Chapelain, Lettre à M. de Boisrobert

Verdict sur Le Cid

Chapelain résume, dans cette lettre à Boisrobert datée du 31 juillet 1637, les grandes lignes des Sentiments de l'Académie sur Le Cid, tout en restant très prudent sur ses conclusions.

Monsieur,

Je ne doute point que Monseigneur, ayant daigné jeter les yeux sur cette ébauche de jugement que j’ai faite du Cid au nom de l’Académie, Son Éminence n'ait d'abord pénétré les raisons qui m'ont obligé de m'y prendre comme j'ai fait, et je tiens comme superflu de vous supplier encore de lui présenter sur ce sujet les choses que je vous fis hier entendre sur ce sujet chez vous. En tous événement, néanmoins, si vous rencontrez Son Éminence dans un assez grand loisir pour en vouloir bien être entretenue, vous me feriez une singulière grâce de lui dire qu’estimant ce poème défectueux en ses plus essentielles parties, j’ai cru que le moyen de désabuser ceux que ses fausses beautés ont prévenu était de témoigner qu’en beaucoup de choses non essentielles nous ne le croyons pas repris avec justice, et nous montrer favorables à quelques-uns des sentiments de ceux qui n’y trouvaient rien à redire ; qu’autrement, si nous lui paraissions contraires en tout, bien qu’aux choses principales nous l’eussions censuré justement, nous passerions dans l’esprit du commun pour partiaux de ses événements et pour juges injustes, ce qu’il me semble que surtout nous devions éviter, et pour le but que nous avons dans ce travail et pour nous décharger de la haine publique, laquelle autrement nous serait inévitable.

Vous me ferez encore la faveur, s’il vous plaît, de lui dire les conclusions que je prends à la fin de l’ouvrage, et de la supplier de considérer que je ne puis avoir tellement excusé Le Cid dans le cours du jugement que j’en fais, que je ne le ruine beaucoup en montrant, et dans ce même cours et par mes conclusions, que les principales choses à qui sont requises un poème dramatique pour être bon lui manquent. Mais si Son Éminence juge que les moyens que j’avais pris pour le mieux ne fussent pas légitimes, assurez la que je n’ai nul attachement à mes opinions, et que je suis dans la soumission et la déférence que tout homme de bon sens doit avoir pour les sentiments d’une si haute intelligence que la sienne, et que je suis pour les suivre et m’y conformer entièrement.

Lettre en ligne sur Gallica t. I, p. 159.


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