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1637

Jean Chapelain, Lettre à M. de Balzac

Arbitrage difficile du Cid pour les académiciens

Chapelain témoigne dans cette lettre à Balzac du 22 août 1637 de la difficulté à évaluer Le Cid et du risque de condamner une pièce qui a remporté un si grand succès :

Monsieur,

Toutes ces choses que vous supposez être en moi pour bien traiter la matière du Cid me manquent, et ce travail ne pouvait être donné à un plus pauvre homme que moi, ni moins capable de satisfaire à l’attente du public. Mais ni ce défaut, ni le temps que cette corvée m’a emporté et m’emportera, ne sont pas les choses les plus fâcheuses que j’y trouve. Je ne crains pas d’être blâmé de mal écrire, ni ne suis pas si chiche de mes heures que je ne les puisse volontiers employer sans autre utilité que de plaire à celui qui peut tout sur moi. Ce qui m’embarrasse, et avec beaucoup de fondement, est d’avoir à choquer et la cour et la ville, les grands et les petits, l’une et l’autre des parties contestantes, et en un mot tout le monde, en me choquant moi-même sur un sujet qui ne devait point être traité par nous ; et, croyez-moi, Monsieur, qu’il n’y a rien de si odieux, et qu’un honnête homme doive éviter davantage, que de reprendre publiquement un ouvrage que la réputation de son auteur ou la bonne fortune de la pièce a fait approuver de chacun : car le moins qu’on en doive attendre est de se voir accueilli de pasquins, de satires et de malédictions, et de défrayer la compagnie.
Souvenez-vous de ce qui vous est arrivé à vous-même sur l'Hérodes de Heinsius. Il n’y a point d’homme sage qui ne tombe d’accord de vos répréhensions ; il n’y en a point de si délicat qui ne trouve un parfait contentement dans le style dont elles sont écrites et, avec tout cela, il n’y a guère de gens qui vous plaignent du mauvais traitement que le poète repris vous fait dans sa mauvaise réponse. Une chose me conseille en ceci, et c’est que notre protecteur ayant vu mon examen, n’en a guère trouvé que les matières bonnes, et a désiré que l’Académie les embellît de fleurs, de sorte que j’aurai des compagnons, par sa grâce, à supporter la haine et le blâme qui nous en est assuré.

Lettre en ligne sur Gallica t.I, p. 164-165.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »