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1639

Mlle de Scudéry, Lettre à M. Chapelain

Avis divergents sur les Suppositi de l'Arioste

Dans cette lettre datée d'avril 1639, Mademoiselle de Scudéry rend compte de sa lecture de la comédie des Suppositi de l'Arioste en évoquant l'avis contraire de son amie Mademoiselle de Rambouillet sur cette même pièce.

Monsieur,
Après avoir lu la comédie que vous m'avez fait l'honneur de me prêter, je ne suis pas assez inconsidérée pour publier hardiment ce que j'en pense. La médiocrité de mon esprit et mon ignorance sont des raisons assez fortes pour m'en empêcher. Je vous dirai pourtant que si quelque chose vous pouvait faire douter de la justice de votre cause, vous auriez lieu de le faire, dans la seule pensée que Mlle de Rambouillet qui, certainement, est la plus excellente personne de mon sexe, désapprouve une chose que je trouve belle, qu'elle condamne un intrigue qui me semble admirablement joli, et merveilleusement conduit ; et qu'enfin, elle blâme un ouvrage où je n'aperçois point de tache, et où le peu de lumière que j'ai me fait découvrir de grandes beautés. Cette opposition de toutes choses, qui se voit entre l'opinion de cette admirable personne et la mienne, doit, si je ne me trompe, vous être suspecte, et vous porter encore une fois à examiner si la raison est absolument contre elle, ou si, en cette rencontre, elle veut faire paraître son esprit au préjudice de son jugement, si elle protège le faible, ou si elle soutient ses sentiments propres ; car, pour ne vous déguiser pas les miens, je ne puis concevoir que vous soyez de parti contraire ; et lorsque je vous assure que je serai toujours du vôtre, je ne puis m'imaginer que je ne sois pas toujours du sien.

Lettre en ligne sur Gallica, p. 145-146.


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