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1669

Edme Boursault, La Satire des satires

Paris, Ribou, 1669

Le critère de la nouveauté

Dans cette comédie de salon, deux personnages ridicules, Le Marquis et la Marquise Orthodoxe, jugent l'actualité théâtrale à l'aune de leur admiration pour Boileau. Leurs critères de jugement et leurs réactions dans la salle se fondent donc sur une logique aussi biaisée qu'inadaptée.

Scène VI :/strong>

LE MARQUIS.
Elle approuve l’Astrate.

AMARANTE.
Quoi, l’Astrate ?

LE MARQUIS.
L’Astrate !

ORTHODOXE.
Ah mon Dieu, je l’ai vu !
Que les vers en sont forts, et que tout m’en a plu !
J’en revins satisfaite autant qu’on le puisse être.
Un ouvrage si beau part de la main d’un maître.
Bien des gens qu’il charma l’applaudirent tout haut.
Dites-moi, s’il vous plait, qui l’a fait.

BOURSAULT.
C’est Quinault.

ORTHODOXE ?
Bon, Quinault !

EMILIE.
Oui, vraiment, voudrait-il vous le dire ?

ORTHODOXE.
Quoi, le même Quinault que Despréaux déchire,
A composé…

EMILIE.
L’Astrate, où l’on donne un anneau...

ORTHODOXE.
Je suis au désespoir de l’avoir trouvé beau.
Il me parut charmant, j’en admirai le tendre,
Mais si jamais j’y vais, j’en dirai pis que pendre,
Il ne doit rien valoir, car Despréaux le dit.

LE MARQUIS.
Quoi que ce soit..

LE CHEVALIER.
Tout beau, Quinault a de l'esprit.

AMARANTE.
Du beau.

ORTHODOXE.
Monsieur raille, ou Madame le flatte.

LE MARQUIS.
S'il avait de l'esprit, aurait-il fait l'Astrate ?

LE CHEVALIER.
Parle mieux de l’Astrate ; ou du moins n’en dit rien.
Il a charmé Madame…

ORTHODOXE.
Ah ! je m’en repens bien,
A tous les beaux endroits que l’acteur y rencontre,
Je fis le brouhaha, mais je proteste contre.
On doit me pardonner, si je le fis tout haut,
Ce fut innocemment que j’applaudis Quinault.
Si l’auteur, par l’ouvrage, avait pu se connaître,
Je l’aurais trouvé laid, tout galant qu’il puisse être,
En conscience.

EMILIE.
Et vous, depuis quand et pourquoi
Etes vous gendarmé contre l’Astrate ?

LE MARQUIS.
Moi ?

EMILIE.
Oui, vous, oui.

LE MARQUIS.
J'aime assez, depuis quand.

EMILIE.
Il me semble
Que dans sa nouveauté nous le vîmes ensemble.
Je ne sais depuis quand vous vous êtes dédit,
Mais je sais qu’à mes yeux vous l’avez applaudi,
Et qu’en vous démembrant pour louer cet ouvrage,
Comme font la plupart des marquis de votre âge,
De vos bras fatiguant vous donnâtes cent coups
A ceux qui par malheur s’étaient mis près de vous.
Vous trouvâtes la pièce admirablement belle.

LE MARQUIS.
Elle était belle aussi, quand elle était nouvelle ;
Mais elle ne l’est plus à présent.

LE CHEVALIER.
Ah ! fort bien.
Pompée est déjà vieux, il ne vaut donc plus rien ?
Dans deux ans l’Alexandre et sa sœur Andromaque,
Ne seront donc plus beaux, si quelqu'un les attaque ?
Le Cid dont tout Paris admira la beauté,
A donc perdu sa grâce avec sa nouveauté ? A ce compte ?

ORTHODOXE.
Oh! Le Cid! quel poème en approche ?
Y songez-vous ?

LE MARQUIS.
Ma foi, ta comparaison cloche.
Le Cid est de Corneille, où diable as-tu l'esprit ?
Il ne vaudrait plus rien, si Despréaux l'eût dit,
J'en demeure d'accord. Mais d'assez fraîche date
Il approuve Le Cid et condamne L'Astrate.

BOURSAULT.
Les ouvrages d’Esprit cessent donc d’être beaux,
Dès qu’ils sont attaqués par Monsieur Despréaux

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