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1656

Michel de Pure, La Précieuse

Paris, Lamy, 1656

Revue littéraire

Dans la première partie du roman, une conversation amène les protagonistes – des précieuses – à discuter de goûts poétiques. Certains passages touchent directement au théâtre ; il s'agit d'un discours d'amateur :

– J'avoue, continua Eulalie, que par-dessus et hors de pair, je mets Corneille. Je ne puis parler de cet homme sans respect, sans vénération ; et quand je devrais m'ériger en diseuse de grands mots, il faut que vous me permettiez de m'acquitter d'une partie de ce que je crois lui devoir. Le théâtre n'a jamais rien vu ni montré de si beau que ses ouvrages : l'esprit, la conduite, le travail, les vers, et surtout les sentiments honnêtes, et les mouvements de la droite raison y brillent avec tant d'éclat et de douceur tout ensemble que cela me paraît au-delà de tous les exemples, et au-dessus de toute imitation. Mon Dieu, poursuivit-elle, que dira-t-on de ma présomption, d'entreprendre de si mal louer un si grand homme ? Mais il faut que je me satisfasse aux dépens de tout ce qui m'entend. Corneille, au dire même des grands hommes, a une chose qui lui appartient à lui seul, qui lui est propre et d'où personne n'a pu encore approcher. C'est qu'il n'y a rien de si divers, de si changeant dans toutes ses pièces, qu'il n'unisse par des traits si adroits et si bien ajustés, qu'il semble que la suite soit naturelle et sans art, et que les événements supposés sont confondus avec les véritables. Jamais le vers ne le fait éloigner de la chose, jamais la rime ne l'oblige d'extravaguer, jamais les grands mots ne sont violemment appliqués, tout y paraît naturel et lié, plutôt par l'ordre des choses que de l'ouvrage et par l'enchaînure des sujets que par les soins de l'esprit. Mais après lui, j'aurais peine à dire du bien ou du mal de tous les autres. Je m'y suis appliquée si légèrement et avec si peu de réflexion que je n'en puis porter de raisonnable jugement.

– Il n'est pas question de juger, dit Aracie, mais de goûter. Nous ne demandons pas ce que vous en pensez, mais ce qui vous en plaît.

– Puisqu'il ne s'agit que de mon goût, et non de pas de mon sentiment, répondit Eulalie et que ce que je dirai ne tire point à conséquence que pour moi-même, je m'en vais vous parler librement. […] [sur Boisrobert] Ce n'est pas tout, ses galanteries, ses pièces comiques et tout ce que l'occasion peut désirer de son esprit en sort si abondamment et si facilement qu'il peut enrichir une conversation sans faire de dépense qui lui coûte. Il a fait deux comédies dans l'espace d'une promenade assez courte et de peu de mois, et si son ouvrage n'était point un embarras de ses plaisirs ou de la conversation de ses amis. Peu d'heures de la solitude produisait tant de choses tout à la fois qu'il n'empruntait rien des temps destinés aux amusements de la société et aux plaisirs de la campagne.

– Je ne m'étonne pas, interrompit Aracie, si ces comédies ont tant de succès, car les choses qui naissent dans un si beau climat dans un fonds si riche et dans une imagination si facile ont toujours quelque chose de singulier et des beautés extraordinaires. Ce naturel a un caractère particulier que l'art n'attrape point ; mais je crois, Madame, poursuivit-elle, que cet homme doit être admirable dans ses conversations.

Edition de 1660 disponible sur Gallica.


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