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1655

(Nicolas Drouin dit) Dorimond, L'Apologie du théâtre

Rouen, Imprimerie de David Petit, 1655

Éloge des vertus du théâtre

Après avoir fait l'histoire du théâtre des origines, en insistant particulièrement sur le jeu des acteurs grecs et latins, et sur la moralité profonde du théâtre, cette apologie dédiée à Mademoiselle s'achève sur le renouvellement du théâtre qu'elle rend possible en tant que protectrice de la troupe de Dorimond :

Ces importuns censeurs qui n’ont point de science,
Qui vivent sans avoir la moindre connaissance,
Qui toujours à gloser se rendent obstinés,
Verront rentrer en eux leurs mots empoisonnés,
Avorter sans effet leur rage et leur envie,
Et leur propre venin rejaillir sur leur vie
Lors qu’ils verront encor un Martyr glorieux
Monter sur le Théâtre à la gloire des Cieux,
Et faire les degrés de la béatitude,
Sur ces divers objets faire une sainte étude,
Et trouver sur la scène un célèbre échafaud,
Pour monter de la terre au trône du très-haut,
C’est le grand S. Genet si digne de louanges,
Qui passe de sa troupe en la troupe des anges,
Chacun connaît assez ce Saint Comédien,
Qui dans la Comédie a trouvé le vrai bien.
Ma Muse se joignant avec la renommée,
Ranimerait encor la gloire consommée
De bien d’autres acteurs qu’on a vu généreux
Élever des Cités et des Temples fameux,
Soudoyer à leurs frais les Troupes de Bellonne,
De Corinthe tenir le sceptre et la couronne ;
Si ce pompeux éclat qui les sut revêtir
N’était bien au dessous de celui de Martyr,
Et si la Comédie avait plus d’avantage
A nommer ces derniers que ce Saint personnage.
Ainsi la Comédie est dans sa pureté,
Voilà son innocence, et voilà sa beauté,
Et de quelle façon triomphe le théâtre,
Voilà comme sa pompe est bien loin de s’abattre,
Et comme incessamment il mettra sous ses pas
Ceux qui le blâmeront, ne le connaissant pas.
Voilà quelles étaient ces déités visibles
Qui de la gloire ont eu les chemins accessibles,
Ces poètes sacrés, ces chantres immortels
Qui de tous les humains méritent des autels ;
Voilà quels ont été les acteurs, les actrices,
Voilà quels ont été leurs nobles exercices,
Et comme le théâtre est et sera toujours
L’école où l’on n’entend que d’utiles discours ;
Voilà de sa grandeur les glorieuses marques,
Voilà quels ont été les Princes, les Monarques,
Les Sages, les Savants, qui l’ayant visité
Montrent assez que c’est une nécessité,
D’aimer la comédie et d’en chérir l’usage,
Puisqu’elle est du vrai bien une parfaite image,
Le trône des vertus, des vices le tombeau,
Des passions de l’homme un excellent tableau,
La [sic] guide de l’honneur et l’histoire parlante,
Et la philosophie et visible et brillante ;
Des plus savants esprits c’est l’occupation,
Et des plus ignorants la douce instruction ;
Le jardin qui produit l’épine avec les roses,
Et laisse aux bons esprits choisir les bonnes choses ;
C’est elle qui souvent dans les cœurs des tyrans
A porté des poignards et des remords cuisants ;
Lors que reconnaissant les vertus et le vice,
Elle en monte un au trône, et met l’autre au supplice,
Mais de toute sa gloire et de ses vifs rayons,
Tout ce que j’ai tracé sont de faibles crayons ;
Elle a bien plus d’éclat vertueuse PRINCESSE,
Par la protection qu’elle a de votre ALTESSE ;
La vertu dont vôtre âme est le temple sacré,
Votre esprit merveilleux en tous lieux adoré,
Vos belles actions de qui toute la France
Garde le souvenir comme la connaissance,
Vos yeux où la fierté règne avec les douceurs,
Qui vous rendent deux fois la maîtresse des cœurs :
Tous ces divins appas pour qui la renommée
Bannit tout autre soin et se rend animée,
La daignant honorer de leur moindre clarté,
Lui donnent plus de gloire et plus d’autorité ;
Tout étant au dessous de votre nom illustre,
Tous ceux dont j’ai parlé lui donnent moins de lustre ;
La comédie ayant votre approbation
Montre assez son mérite et sa perfection :
De là se doit tirer la juste conséquence,
Que le théâtre n’est qu’une pure innocence ;
Aussi vous le rendez si modeste et si beau
Qu’il brille en votre cour d’un éclat tout nouveau ;
Vous lui faites bâtir une scène pompeuse,
Qui remplit les acteurs d’une ardeur amoureuse,
Et les ravissant tous, émeut ceux de Paris
A vous donner en eux de nouveaux Mondory,
De pouvoir rajeunir le mignard Bellerose,
Et tous ceux en qui l’heur du théâtre repose,
C’est donc par cet éclat qu’on ne saurait ternir
Que le soin de ma Muse aujourd’hui doit finir,
L’honneur que vos bontés font à la comédie,
Avec son seul brillant fait cette Apologie,
Vôtre ALTESSE l’aimant, partout on l’aimera,
Et comme elle en tous lieux on la protègera.

Ouvrage signalé par F. Rey, p. 18-22 


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