1657

Michel de Marolles, Du ballet

Paris, Loyson, 1657

Consignes scéniques et anecdotes s'y rapportant

Le traité du ballet de Michel de Marolles présente nombre de consignes scéniques précises, agrémentées d'anecdotes qui fournissent de précieuses informations sur des détails de costumes et de machinerie.

Je ne parle point ici de ces vilaines mascarades qui courent dans les rues de Paris et des autres villes du Royaume le jour du Carnaval ni moins encore de ces danses impudiques qui se font quelques fois en des maisons particulières où l’on mêle des actions impures et de mauvaises équivoques qui réjouissent les âmes basses, mais d’une danse honnête où rien ne choque la modestie et la bienséance, de sorte que les cardinaux, Monsieur le nonce apostolique et les yeux des prélats les plus saints et les plus religieux en sont témoins aussi bien que toute la Cour en présence du roi et de la reine, devant qui ce serait un crime de faire quelque chose dont il ne serait pas permis d’écrire à une personne de ma condition.

Je ne sais si les Anciens l’eussent défini de la sorte, car peut-être qu’en ces petites choses-là, ils borneraient un peu davantage leurs desseins que nous ne ne faisons pas et qu’ils se contentaient de quelque mommerie ou tout au plus, de ce que nous appellons Le Grand Ballet, ensuite de plusieurs Entrées où tous les danseurs, avec des masques noirs, sont également parés d’aigrettes, de plumes et de clinquant ; mais aujourd’hui, nous prenons le ballet d’une manière plus étendue et une galanterie de cette espèce qui ne serait que de danseurs vêtus de la sorte ou tels que les Ardents ou les Sauvages du ballet de Charles VI ne passerait tout au plus que pour une masquarade où la bonne grâce des personnes, leur belle disposition et la magnificence des habits ne laisseraient pas selon les sujets d’être mises en considération.

[…]

Le nombre des actes, quand il y en a plusieurs, n’est pas limité. Il suffit néanmoins de n’y en mettre que tois, chacun rempli de dix ou douze entrées, sevant toutes au sujet de l’invention, mais avec une telle diversité qu’on n’ait pas le loisir de s’en ennuyer, c’est-à-dire, qu’il ne les faut pas faire trop longues et qu’elles doivent être inégales, quelques unes d’un seul personnage, d’autres de deux ou de trois, ou de quatre et quelques autres de cinq ou de six, quoique beaucoup plus rarement avec des pas et des habits parfaitement ajustés à la représentation.

[…]

Je n’improuverais pas que les violons, à qui l’on donne des habits, fissent aussi une entrée, ce qui réussit agréablement quand on la fait bien ménager pour la faire servir au sujet. D’où s’étant retirés, ils montent sur leur échaffaut dressé exprès pour voir commodément les danseurs et les machines quand il y en a et que le sujet le requert, afin d’y ajuster leurs concerts.

[…]

https://books.google.ch/books?id=KcAWAAAAQAAJ&dq=editions%3AW3llZshI28kC&hl=fr&pg=PA116#v=onepage&q&f=false Mais à propos de chariots, il faut bien prendre garde, si l’on y en introduit quelques-uns, que ce ne soit pas comme le furent ceux de l’Harmonie et de la Concorde dans le ballet de la prosperité des armes de la France, où ils se mouvaient d’eux-mêmes, sans être tirés de quoi que ce fût, ce qui n’est nullement vraisemblable, parce qu’un chariot doit être attelé, mais il ne faut pas néanmoins que les chevaux, les taureaux, les lions, les tigres, les panthères, les aigles, les cygnes, les colombes ou les autres animaux qui le tirent, soient d’autre sorte qu’en représentation par des machines qui les contrefassent, autrement ce ne serait plus ballet. Outre que les animaux effectifs ne réussissent jamais dans ces sortes de galanteries, comme il parut assez au ballet royal du grand bal de la douairière Billebahaut, dansé au Louvre en l’année 1626, où Marais, un danseur illustre de ce temps-là, qui représentait le Grand Turc, était montré sur un Cheval naturel. Car quelque dressé qu’il fut, il ne s’en put servir comme il eût bien voulu à la lueur des flambeaux, parmi beaucoup de monde et dans le bruit d’un grand concert de violons, de sorte que l’acteur, parfaitement adroit et dispos, fut contraint de mettre pied à terre plutôt qu’il n’eut fait pour danser. Et le cheval étonné et de fort mauvaise grâce, ayant même gâté la place, fut reitré promprement, au lieu que le même Marais et quelques autres, représentant des coureurs de bague et des docteurs armés allant rompre à la quintaine contre un Faquin, dans un autre ballet, réussirent beaucoup mieux, étant montés sur des mules ou des chevaux contrefaits. Des âmes, des génisses, des chèvres, des moutons et des chiens, qu’on y a quelques fois introduits, n’y ont pas trouvé un plus heureux succès et tout au contraire, il n’est rien de plus joli que quand ils y sont admis en machines, pourvu qu’elles soient bien faites.

Il n’est pourtant pas toujours nécessaire que ces représentations soient tout entières, mais seulement qu’elles s’expriment en partie, comme par un visage contrefait ou par une tête postiche, comme on dépeint d’ordinaire ACtéon, qui prend la forme d’un cerf pour punition d’avoir vu Diane toute nue, ou les compagnons d’Ulysse, changés en pourceaux, en loups ou en lions, par la force des enchantements de Circé, lorsqu’on n’y voit encore que la tête de changée. Il en est de même des oiseaux qui se figurent pas des masques ressemblants et par des habits de plumes naturelles et des ailes au lieu de bras, comme on représente dans les métamorphoses les Piérides qui se changent en pies, Coronis en corneille, Cycnus en Cygne et Alcyone en alcyon.

Que si le ballet n’est point du tout sérieux, il faut néanmoins que la manière et l’invention nouvelle le rendent agréable et honnête, y mêlant des choses extraordinaires qui tiennent du merveilleux, comme au ballet des fées des forêts de Saint-Germain, dansé une seule fois au Louvre par le feu roi, en l’année 1625, où Guillemine la Quinteuse, Robine la Hasardeuse, Jacqueline l’Entendue, Alison la Hargneuse et Macette la Caprioleuse (c’est ainsi que se nommaient les cinq fées de ce ballet) signalèrent admirablement leur pouvoir […] chacun qui avait son acte à part composé de diverses entéres envoyant devant elle son génie qui faisait le récit, l’un habillé de violons, de théorbes et de luths et coiffé d’un pupitre ou lutin pour la musique ; le second, vêtu de cartes et de tarots, de dés, d’échiquiers et de tourniquets et coiffé d’une table pour les jeux de hasard ; le toirisème, vêtu d’une marotte pour la folie ; le quatrième, couvert de cuirasses, de plastrons et de machines de guerre, portant sur la tête un bastion pour les combats et le dernier, orné de plumes légères de diverses couleurs pour la danse, qui donna sujet à un ballet de billeboquets animés et ensuite à un grand ballet.

Le Roi, qui aime toutes les belles choses, où il réussit admirablement s’est plu de faire des ballets de toutes les sortes, et j’ai appris de ceux qui en ont été spectateurs et des relations que j’en ai lues, qu’ils ont été parfaitement bien conduits, selon les sujets. Que dans les sérieux, la magnificence des machines et des habits s’y est trouvée telle qu’on le pouvait désirer et que les inventions en ont été ingénieuses, comme en celui de la nuit de 1653 […] celui de l’ Amour malade en cette année 1657, qui ne contient qu’un acte composé de dix entrées et d’une espèce de petite comédie en musique que font l’Amour, le Temps, la Raison et le Dépit, laquelle doit être infailliblement fort agréable, comme tout ce qui paraît dans un lieu si grand et si éclairé, ne peut pas qu’il ne soit rare et merveilleux. Mais puisque le Temps, le Dépit et la Raison ont été appellés pour guérir l’Amour malade et qu’ils ont jugé que le remède d’un ballet serait fort porpre à lui redonner la santé, il n’eût pas été impossible que chacun de ces trois personnages […]

Toutefois, de tous les cinq ballets que je viens de nommer, je m’imagine, par la description qu’on m’en faite, que celu ides noces de Pelée et de Thétis a été le plus accompli et le plus somptueux […]

Traité disponible sur Gallica.


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