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1697

(Florent Carton dit) Dancourt, Renaud et Armide

Paris, Thomas Guillain, 1697

Devenu fou à l'opéra

Pour tirer son maître d'un mauvais pas, Lolive fait croire à son père, Monsieur Filassier, que le jeune homme est devenu fou en tombant amoureux à l’opéra : il se prendrait désormais pour un personnage de l'Armide de Quinault et Lully.

Acte unique, SCÈNE XVII Monsieur Filassier, Monsieur Grognac, Lolive

[…]

MONSIEUR FILASSIER

Ah ! Le misérable a fait quelque mauvais coup ?

LOLIVE

Vous l’avez deviné, Monsieur il est devenu amoureux d’une vieille.

MONSIEUR FILASSIER

Amoureux d’une vieille ! Et n’a-t-il que cette folie-là encore ?

LOLIVE

Et n’est-ce pas assez, Monsieur ? C’est à l’opéra qu’il est devenu amoureux, et à l’opéra d’Armide encore. Figurez-vous ce que c’est, Monsieur, qu’un amour qui prend naissance à l’opéra. Il s’est mis dans la tête des idées confuses de Palais, de Démons, d’enchantements, il croit être Renaud.

MONSIEUR FILASSIER

Il croit être Renaud ?

MONSIEUR GROGNAC

Voilà une plaisante folie !

LOLIVE

Oui, Monsieur, et quand il ne voit point sa vieille, qu’il appelle Armide, parce qu’elle fait assez bien les choses…

MONSIEUR FILASSIER

Hé bien, quand il ne la voit point ?

LOLIVE

Sa folie augmente, il est dans des agitations… Quelques-uns de ses amis et moi, nous faisons ce que nous pouvons pour le divertir ; mais il nous dit avec une colère qui tient un peu de la fureur : Allez, allez, éloignez-vous de moi, Doux plaisirs, attendez qu’Armide vous ramène.

MONSIEUR FILASSIER

Voilà qui est étrange !

MONSIEUR GROGNAC

Cette folie-là n’est pas dangereuse, et dans la suite…

LOLIVE

Elle n’est pas dangereuse ? Si vous saviez ce qu’il nous a fait aujourd’hui.

MONSIEUR FILASSIER

Comment ? Qu’a-t-il fait ?

LOLIVE

Nous étions auprès de lui trois ou quatre ; car on le garde à vue, afin que vous le sachiez.

MONSIEUR FILASSIER

Hé bien ?

LOLIVE

Il nous a pris pour des Démons, et il voulait à toute force que nous l’emportassions au bout de l’univers.

MONSIEUR FILASSIER

Le pauvre enfant !

MONSIEUR GROGNAC

Cela est chagrinant.

LOLIVE

Nous n’en avons rien voulu faire, comme vous jugez bien ; et pour y aller tout seul, il a sauté par la fenêtre.

MONSIEUR FILASSIER

Par la fenêtre, mon cher enfant ! Miséricorde !

LOLIVE

Ne vous affligez point, Monsieur, il ne s’est point fait de mal.

MONSIEUR GROGNAC

Il ne s’est point fait de mal en se jetant par la fenêtre ?

LOLIVE

Non, Monsieur. Dans les commencements de sa maladie, j’ai eu la précaution de le loger dans une salle basse.

MONSIEUR FILASSIER

Que je te suis obligé, mon pauvre Lolive.

LOLIVE

Oh, Monsieur, il n’y a pas de quoi, je vous assure. Tout ce qui me chagrine, c’est que quand il a été échappé, il s’est d’abord enfui chez sa vieille, qui le tient à l’heure qu’il est, et qui est aussi folle que lui, pour le moins.

MONSIEUR GROGNAC

On devrait faire un bon exemple de ces coquines-là, qui débauchent ainsi la jeunesse.

MONSIEUR FILASSIER

Et qui est cette créature-là, dis ?

LOLIVE

Une extravagante, de par le monde, qu’on appelle Madame Jaquinet.

MONSIEUR FILASSIER

Madame Jaquinet, monsieur Grognac !

LOLIVE

Oui, justement, la sœur d’un Monsieur Grognac, qui est un grand imbécile, à ce qu’on dit.

MONSIEUR GROGNAC.

Parle donc, hé maraud, sais-tu bien que c’est moi qui suis Monsieur Grognac ?

LOLIVE

Monsieur Grognac l’imbécile ? Je vous demande pardon, Monsieur, je ne vous connaissais que de réputation.

MONSIEUR GROGNAC

Tu es un insolent…

MONSIEUR FILASSIER

Monsieur Grognac…

MONSIEUR GROGNAC

Ce coquin-là…

MONSIEUR FILASSIER

Un peu de patience… Mon fils est donc ici, apparemment ?

LOLIVE

Oui, Monsieur. C’est ici le séjour enchanté D’Armide et du Héros qu’elle aime. Quand vous êtes venu, Monsieur, je répétais le rôle d’Ubalde, s’il vous en souvient ; et vous voilà tout à propos pour faire celui du Chevalier Danois. Peut-être quand il vous verra, il rougira de faiblesse, Et nous l’engagerons à partir de ces lieux.

MONSIEUR FILASSIER

C’est bien dit : allons, mène-moi où il est, que je le vois.

MONSIEUR GROGNAC

Ouais, qu’est-ce que tout cela signifie ?

Extrait disponible sur Théâtre classique


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