Par support > Pièces de théâtre > Angélique et Médor

 

1711

(Florent Carton dit) Dancourt, Angélique et Médor

Bruxelles, J. de Gouek, 1711

Opéra à domicile

On apprend à la première scène de cette petite comédie que Monsieur Guillemin veut faire représenter un opéra chez lui pour séduire Isabelle. Pour venir en aide à Éraste, amoureux d'Isabelle, Lisette imagine de les faire engager lui et son valet par Monsieur Guillemin, comme chanteurs.

LISETTE

Monsieur Guillemin, pour plaire à sa maîtresse, veut lui donner un grand régal.

[...]

ÉRASTE

Et quel régal prétend-il lui donner ?

LISETTE

Devinez.

ÉRASTE

Dis-le moi, je te prie, je ne sais point deviner.

LISETTE

Un opéra.

ÉRASTE

Isabelle va aujourd'hui à l'opéra ?

LISETTE

Non, c'est un opéra que l'on chantera ici et où Isabelle même doit chanter.

ÉRASTE

Mais vraiment, voilà une grosse dépense.

LISETTE

Oh, ce ne sera qu'un diminutif d'opéra.

ÉRASTE

Mais de quel secours nous peut être ce dessein où il est de faire un opéra ?

LISETTE

Il cherche des musiciens de tous côtés.

MERLIN

Voilà une marchandise bien rare. Il n'aura pas de peine à en trouver, les rues en sont pleines ; ce n'est pas que les bons se font bien valoir, et l'on n'en trouve pas comme on veut.

LISETTE

Va, va, les plus médiocres seront excellents ici. Nous n'avons pas affaire à un habile homme. Je lui ai dit que j'en connaissais d'admirables.

MERLIN

Ah, je te vois venir, tu nous vas faire chanter à l'opéra.

LISETTE

Justement.

MERLIN

Je m'en suis bien douté.

ÉRASTE

Mais je ne sais presque point chanter.

LISETTE

Je serai bien de la partie, moi qui ne fais que hurler. Vous ferez comme vous pourrez, et vous aurez du moins ainsi les moyens d'entretenir Isabelle et de la disposer, s'il est possible, à se délivrer de la tyrannie où elle est.

ÉRASTE

Je ferai ce que tu voudras.

MERLIN

Mais moi qui ne sais point chanter du tout...

LISETTE

Tu moucheras les chandelles.

MERLIN

L'ignorante ! Est-ce qu'on mouche les chandelles à l'opéra ?

LISETTE

Eh bien tu feras aller les machines.

MERLIN

Oh, pour cela, je m'en acquitterai fort bien. Tu n'as qu'à faire mettre Monsieur Guillemin dans quelqu'une, je lui ferai bientôt casser le cou.

LISETTE

Cela ne serait point trop malaisé, mais j'ai peur qu'il n'y ait point de machines à cet opéra-ci, car ce n'est plus la mode, et cela [c]oûte trop.

MERLIN

Je chanterai de mon mieux, en tous cas, et je tiendrai toujours bien mon coin dans les chœurs. Je me souviens que je chantais au lutrin de notre village.

p. 3-5.

Extrait disponible sur Google Books.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »