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1674

André Félibien, Les Divertissements de Versailles, donnés par le Roi au retour de la conquête de la Franche-Comté, en l’année 1674

Paris : J. B. Coignard, 1674

Un canal illuminé

La sixième journée des Divertissements de Versailles de 1674 s’ouvre par un nouveau spectacle le long du Canal : cette fois c’est au tour du sieur Vigarani d’impressionner la cour avec une série d’illuminations.

Après les magnificences des fêtes précédentes, il semblait qu’on ne devait plus rien attendre d’extraordinaire. Cependant, le sieur Vigarani qui avait ordre de décorer d’illuminations tous les bords du grand Canal, ayant disposé toutes choses pour le dernier jour d’août qui se trouva très favorable pour ces sortes de spectacles, surprit toute la cour par la nouveauté et la grandeur de celui-ci.
L’on avait ressenti dans les autres divertissements les plaisirs que peuvent donner les plus belles pièces de théâtre, les musiques les plus charmantes, les festins les plus somptueux, et les feux d’artifice les plus terribles et tout ensemble les plus agréables qui aient jamais été ; mais le roi, voulant faire voir des beautés que l’on n'avait point encore vues, sembla pour cette fois avoir été servi par la magie même, tant les yeux et l’esprit se trouvèrent surpris par les différentes merveilles dont ils furent charmés.
Sa majesté étant sortie du château environ à une heure de nuit, mais d’une nuit la plus noire et la plus tranquille qui ait été depuis longtemps, l’on vit dans cette grande obscurité tous les parterres tracés de lumières. La grande terrasse qui est devant le château était bordée d’un double rang de feux espacés à deux pieds l’un de l’autre. Les rampes et les degrés du fer à cheval, et généralement toutes les fontaines qui sont dans le petit parc étaient environnées de pareilles lumières, qui réfléchies dans les bassins y faisaient encore autant d’autres clartés. Au milieu de ces bassins et de ces lumières, l’on voyait élever mille jets d’eau qui paraissaient comme des flammes d’argent poussées avec violence, et dont il sortait mille étincelles.
Ces lumières dont la terre était couverte marquaient de nouveaux parterres, et formaient des figures de feu au lieu de fleurs et de verdure. Au bout de la grande allée royale, le bassin d’Apollon était éclairé de la même sorte ; et au-delà on voyait le grand Canal, qui de loin paraissait comme une glace de cristal d’une vaste étendue. Il était borné de tous côtés de corps lumineux, mais d’une lumière douce et privée du mouvement et de l’action que l’on voit dans le feu ordinaire. Ces corps ne portaient aucune ombre : ils présentaient différentes figures qu’on avait peine à discerner de loin, et dont les images paraissaient sur l’eau, qui n’était pas alors moins tranquille que la lumière même, de sorte que le profond silence et l’obscurité où l’on se trouvait alors, ressemblait beaucoup à ce que les poètes ont écrit des Champs-Elysées, qu’ils dépeignent comme un espace de pays éclairé d’une lumière précieuse, et qui a un soleil et des astres tous particuliers.
Leurs majestés étant arrivées au bassin d’Apollon, toute la cour commença de voir plus distinctement la beauté de ces feux qui environnaient le Canal.

Relation disponible sur Gallica dans l’édition de 1676, p. 27


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