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1671

Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Chenault, 1671.

Querelle de Pomone

Le 23 juin 1671, Robinet relate de manière quelque peu cryptique une querelle qui interrompt l'opéra Pomone, avant que celle-ci ne soit vidée et l'opéra, rejoué. Dans la lettre du 27 juin 1671, il semble poursuivre indirectement le récit de cette querelle :

Le grand opéra plus n’opère,
Dont maint, ici, se désespère.
La discorde aux poils coulevrins,
Qui se nourrit de noirs chagrins,
Et, des plaisirs, est l’ennemie.
En a troublé l’Académie,
Les intendants, et les auteurs,
Les musiciens, et les acteurs,
Tous, sont tombés en guerre atroce,
En guerre incivile, et féroce :
Et Pomone, à ce que l’on dit,
S’est vue, en ce cruel conflit,
De maint sacrilèges, outragée,
C’est-à-dire de coups, chargée,
Sans respect (quelle indignité !)
De théâtrale déité.
Or, ils ont eu, sur leur grabuge,
Chez dame Thémis, leur refuge,
Et c’est elle qui doit régler
Leur querelle ; et, bref, démêler
(Ce qui n’est pas affaire aisée)
Une si plaisante fusée.
Cette vieille discorde-là,
Qui, sans cesse, deçà, delà,
Tout depuis que le monde est monde,
Rôde par la machine ronde,
Et des siennes, partout, y fait,
De la manière que Dieu sait,
L’autre jour, brouilla les cervelles
D’environ quatre ou cinq donzelles,
Sur pareil sujet qu’autre fois,
Elle brouilla, chez les grégeois,
Les trois déesses si dodues,
Que le berger Pâris vit nues.
Mais voyez combien méchamment,
Ou combien exécrablement,
Elle causa mêmes querelles,
Parmi les susdites mortelles.
L’une a, du moins, cinq dizains d’ans,
Et n’a que deux sixains de dents.
L’autre a deux yeux qui, des abeilles,
Opèrent les mêmes merveilles,
Quant à la cire, bien s’entend,
Et, tant soit peu, le gousset sent.
L’une est plus légère, et plus sèche
Que de la plume, et de la mèche,
Et le plus petit coup de vent
L’emporterait jusqu’au Levant.
L’autre a le teint couleur de brique,
Et l’air d’une franche bourrique.
L’autre, à tout dire, ric, à ric,
N’a qu’un œil, et, marchant, fait clic.
Pourtant, ces laides exécrées,
Toutes, du bon sens, égarées,
S’allèrent, je ne sais pourquoi,
Mettre dessus leur quant à soi,
Et se faire, chacune, accroire :
Qu’elle devait avoir la gloire
Qu’eut, sur ses compagnes, Cypris,
S’il était, encore, un Pâris,
Pour les juger en juste Juge.
Or, dans ce comique grabuge,
S’étant reproché leurs défauts,
Sans rien alléguer qui fut faux,
Elles passèrent, des paroles,
(Afin de mieux remplir leurs rôles)
À l’application de mains
Si qu’elles se prirent aux crins,
Et tellement se têtonnèrent [sic],
Que la face, elles s’éraflèrent,
Se mirent l’œil au beurre noir,
Plus de vingt dents se firent choir,
Lacérèrent leurs vieilles nippes,
Et, lors, faites en vrai guenipes,
Attirèrent, en vérité,
Tous les rieurs de leur côté ;
Jusques à la discorde même,
Laquelle, encore, qu’elle se chême,
Et s’afflige éternellement,
Avait voulu, dans ce moment,
S’apprêter à rire, peut-être,
Par un si drôle de bicêtre.
Cette laide fille d’Enfer,
Que la peste puisse écouter,
Fut naguère, dans la Pologne,
À des noces, porter sa trogne :
Et fit là, tout comme elle fit,
Jadis, par un sanglant dépit,
De n’être, illec, point appelée,
Aux noces du Seigneur Pelée,
Avecque la dame Thétis,
Ici, donc, bannissant les ris,
Et désorientant la danse,
Par un débat de préséance,
Dans lequel le duc d’Ostrogoths,
Fort haut monté sur ses ergots,
Donna, de sa main, pas trop sage,
Tout au beau milieu du visage,
Présent le roi même, à celui
Qui voulait danser avant lui,
Il pensa, pour le dire, en somme,
Avoir là, mort de plus d’un Homme,
Et très bien du sang, répandu.
Car, comme il est sous entendu,
On se partagea, dans la salle,
En double faction égale,
Pour en découdre à bon escient :
Mais on mis l’affaire à néant,
Et cet on fut la sage mère
De ce duc un peu trop colère,
Qui le blâma tout hautement,
De son bouillant emportement,
Et lui fit, au Polonais Sire,
Dire tout ce qu’il fallait dire,
Pour en obtenir le pardon :
Après quoi, ce nous mande-t-on,
Le Bal, ainsi qu’avant l’Affaire,
Continua son train, belle erre.
La Nouvelle n’ajoute point,
Comme on satisfit, sur ce point,
C’il qui, du soufflet, fit recette ;
Sans, donc, être rimeur inepte,
Ou bien, un fautif relateur,
Je puis n’en rien dire au lecteur.
Mais c’est trop parler de discorde,
Touchons, un peu, quelque autre corde.

[…]

En achevant ce mien écrit ;
J’apprends de personne d’esprit
Ce qu’il faut, donc, que je publie,
Que la concorde est rétablie,
Entre Messieurs de l’Opéra,
Et qu’hier, même, il opéra,
En reproduisant sa Pomone,
Plus vermeille qu’une Anémone,
Et qu’on reverra, pour certain,
Encore, au même Lieu, demain,
Ainsi que tout du long de l’aune,
L’annonce leur affiche jaune.


[27 juin 1671]

Je ne savais pas tout, vraiment,
Quand je parlai, dernièrement,
Des beaux faits de dame Discorde,
Déesse de sac et de corde,
J’ignorais qu’elle avait été,
(Ce que l’on m’a, depuis, conté)
Mettre son nez dans les mystères
De deux philosophes colères,
Et vous les échauffa si bien,
Dans une dispute de rien,
Qu’oubliant, alors, leur morale,
Comme une morale de balle,
Ils devinrent, présents témoins,
Deux francs héros à coups de poings.
Mais quoi ! par telles apostrophes,
L’un de ces vaillants philosophes,
Eut le moyen, sans argument,
De prouver le vide aisément,
À l’autre qui, dit-on, le nie.
Comment, en effet, je vous prie,
Eussent-ils pu, si tout est plein,
Allonger le bras, et la main,
Pour se frotter de cette sorte ?
À vous, lecteur, je m’en rapporte.
Mais le meilleur de l’affaire est,
Où je n’ai nul brin d’intérêt,
Que, d’un des combattants, la femme,
Qui chanta, là-dessus, sa gamme,
Lui reprocha qu’il s’épuisait
Dans les disputes qu’il faisait,
Qu’il annihilait la Substance
Dont, en diverse Conférence,
Elle l’avait ouï parler,
Et que, sans ses Contes en l’Air,
Lesquels n’avaient rien de solide,
Elle connaissait trop le vide :
Si bien qu’elle le conjurait,
(Quoi faisant il l’obligerait)
De cesser des Disputes vaines,
Qui troublaient le Sang dans les Veines,
Et causaient, sans utilité,
Très grand Dommage à la Santé.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »