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1695

Jean Donneau de Visé, Les Dames vengées

Paris, Brunet, 1695

Le goût du parterre

Dans cette préface, Donneau défend de manière paradoxale l'opinion du parterre.

On veut que je fasse une préface pour rendre justice au bon goût du public. L’affaire est délicate, puisque les louanges que je suis obligé de lui donner semblent en devoir faire retomber sur moi. Voici le fait. Depuis quelques années, les murmures du parterre, et même ses éclats un peu trop vifs pour condamner ce qui lui déplaisait dans une pièce et qui semblait approcher du sérieux, avaient fait croire qu’il ne voulait rien souffrir au théâtre dont les plaisanteries ne fussent outrées ; que toutes les scènes devaient être courtes pour lui plaire, et les acteurs toujours en action pour arrêter les mouvements de ce même parterre, qu’on prétendait vouloir toujours rire, et ne pouvoir se donner la patience d’entendre l’exposition d’un sujet. Toutefois le contraire vient d’arriver, puisque ce même public est entré dans toutes les délicatesses du rôle d’Hortense ; qu’il a applaudi à tout ce qu’elle a dit de fin à sa mère ; qu’il a écouté favorablement deux longues scènes qu’elle fait avec son amant, quoique sérieuses ; qu’il a fait voir que les caractères galants de cette pièce ne le divertissaient pas moins que les comiques, et qu’enfin dans cette comédie les applaudissements ont été mêlés aux éclats de rire. Tout cela est prouvé par un fait connu et incontestable. On m’avait tellement persuadé que je devais faire rire le public, si je voulais que ma pièce fût favorablement reçue, qu’il m’était échappé contre mon goût un cinquième acte plus comique que les quatre premiers, et auquel on a beaucoup plus ri qu’à tous les autres. Cependant cet acte n’a pas laissé d’être si généralement condamné que, le public ayant souhaité que je le changeasse, j’en ai fait un nouveau dans le goût des quatre premiers, et je l’ai fait avec d’autant plus de plaisir que j’ai été détrompé par là de la mauvaise opinion qu’on m’avait voulu donner du goût du parterre, et que j’ai connu que les ouvrages fins, délicats, et travaillés plairont toujours plus que ceux dont les traits seront trop marqués, pour ne pas dire, qui auront un comique plus bas. Ainsi la carrière est présentement ouverte à tous ceux qui croyaient que l’esprit devait être banni du théâtre et qui, dans cette pensée, n’osaient faire paraître sur la scène des ouvrages dont ils s’imaginaient que le public eût perdu le goût.

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