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1662

Sieur de Villiers, Le Baron de la Crasse (Poisson)

Paris, Luyne, 1662

La critique dramatique, prétexte à l'écriture poétique

Il n’est pas rare au XVIIe, qu’un auteur saisisse l’occasion de la critique dramatique pour s’essayer à la création poétique. C’est le cas de Villiers, qui commence son épître en vers en disant qu’il n’a pas vu la pièce de Poisson, mais qu’il est en mesure d’écrire à son propos. Il témoigne alors du succès de la comédie et souligne les aspects particuliers qui ont ravi le public.

A Monsieur Poisson, sur la comédie du Baron de la Crasse

Puisque je n’ai point vu Le Baron de la Crasse,
Dont chacun me dit tant de bien,
Il est très juste que je fasse,
Pour celui qui l’a fait, ou quelque chose, ou rien.
Rien n’est rien, mais il faut que je l’en félicite,
Et qu’avec cela je l’excite
A pousser un travail qui promet tant de fruit,
Puisqu’il doit quelque jour remporter l’avantage
D’être auteur du plus bel ouvrage
Qu’en ce genre d’écrire on ait jamais produit.
D’une commune voix, c’est la plus belle chose
Qu’au théâtre on puisse voir,

Et si quelque envieux en glose,
C’est ou par jalousie, ou bien par désespoir.
Mais dût-on m’accuser de tous les deux ensemble,
Quoique aux critiques il en semble,
Je n’entends point parler de l’aimable Crispin,
Sans être au même temps chatouillé d’une envie,
Qui ne nait point de jalousie,
Mais de la passion d’admirer sa Catin.
Tout Paris l’applaudit, tout le monde la vante,
Et l’on l’admire justement.
Surtout l’on m’a dit qu’elle chante

Aussi bien, sans mentir, que défunt l’Alement ;
Que la comparaison, s’il lui plait, ne l’offense :
Il chanta mieux qu’homme de France.
Mais elle le surpasse, au récit des plus fins.
Vous pouvez aisément lui donner des secondes,
Des Gigognes et des Ragondes,
Mais ne vous lassez point de faire des Catins.
Je la vois de mon lit, et dedans mon idée,
Je crois l’entendre caqueter.
Et j’ai d’ailleurs l’âme obsédée,
De tout ce que Crispin y doit représenter :
Je crois qu’en cent façons il se métamorphose.
Encore un coup, la belle chose !
Hélas ! n’en parlons plus, de peur d’être jaloux.
On fait tant de marquis, on fait tant de marquises,
Mais j’enragerais mes chemises,
Pour pouvoir fabriquer un baron comme vous.
Ne vous étonnez pas si je ne vous dis rien
Du brave Baron de la Crasse.
Comme je ne saurais en dire assez de bien,
Il faudra qu’il se satisfasse
De ce que j’ai pour lui de bonne volonté.
Un mot lui fera voir la grandeur de mon zèle :
Le baron est sans parallèle,
Et rien ne fut jamais si bien exécuté.

DE VILLIERS

A CATIN

C’est à vous maintenant, Catin,
C’est à vous-même que je parle ;
Après tout ce que vaut Crispin,
Ce que vous méritez, il faut que je l’étale.
Il faut que je vous fasse ici
Votre portrait en raccourci.
Car le faire de votre taille,
Il me faudrait trop de papier.
Il faudrait trop versifier,
Et j’aimerais autant décrire une bataille.
Comment diable vous babillez !
Avec votre jargon des Halles,
Combien vous en détartillez !
Votre langue, dit-on, va comme des timbales !
Bredi, breda, bredi, breda ;
Le cul deça, le nez de là.
Ah ! que toutes vos devancières
Devraient bien à présent pester !
Car je juge, sans vous flatter,
Qu’elles n’ont pas valu d’être vos chambrières.
Nous avons vu le temps passé,
Et Dame Alizon et Gigogne.
Mais elles ont le nez cassé !
Catin montre le sien à l’Hôtel de Bourgogne,
Nargue pour tous les envieux !
Elle jette la poudre aux yeux
Et fait à tous rendre les armes.
Ce discours est sans passion
Et sans nulle affectation.
Je n’en excepte pas sœur Ragonde des Carmes.
Catin, m’amour, vous valez trop,
Et vous faites trop de merveilles.
Il faut accourir au galop,
Pour en remplir ses yeux ainsi que ses oreilles.
Toutes vos petites chansons,
Que vous chantez sur divers tons,
Charment toute votre assistance.
Et pour vous dire ingénument
Quel est pour vous mon sentiment,
Vous seriez ma catin, si j’étais roi de France.

De Villiers.

Préface en ligne sur Gallica NP8


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