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1697

Laurent Bordelon, Les Malades de belle humeur : ou Lettres divertissantes ecrites de Chaudray

Lyon : H. Baritel, 1698

Un concert de Carême

Dans la lettre IX de son roman épistolaire, adressée à son « très cher père », Laurent Bordelon compare les musiques française et italienne. Il y évoque notamment un ravissant concert récitatif entendu un vendredi de Carême dans une église romaine.

Cette admirable et ravissante musique ne se fait que les vendredis de Carême, depuis trois heures jusqu’à six. L’Eglise n’est pas du tout si grande que la Sainte Chapelle de Paris, au bout de laquelle il y a un spacieux jubé, avec un moyen orgue très doux, et très propre pour les voix. Aux deux côtés de l’église, il y a encore deux autres petites tribunes où étaient les plus excellents de la musique instrumentale. Les voix commençaient par un psaume en forme de motet, et puis tous les instruments faisaient une très bonne symphonie. Les voix après chantaient une histoire du vieil testament, en forme d’une comédie spirituelle ; comme celle de Susanne, de Judith et de Goliat. Chaque chantre représentait un personnage de l’histoire, et exprimait parfaitement bien l’énergie des paroles. Ensuite un des plus célèbres prédicateurs faisait l’exhortation, laquelle finie, la musique récitait l’évangile du jour, comme l’histoire de la Samaritaine, de la Cananée, du Lazare, de la Magdelaine, et de la passion de notre Seigneur : les chantres imitant parfaitement bien les divers personnages que rapporte l’évangéliste. Je ne vous saurais louer assez cette musique excitative, il faut l’avoir entendue sur les lieux pour bien juger son mérite. Quant à la musique instrumentale, elle était composée d’un orgue, d’un grand clavecin, d’une lyre, de deux ou trois violons, et de deux ou trois archiluths. Tantôt un violon sonnait seul avec l’orgue, et puis un autre répondait. Une autre fois ils touchaient tous trois ensemble différentes parties et puis tous les instruments reprenaient ensemble. Tantôt un archiluth faisait mille variétés sur dix ou douze notes, chaque note de cinq ou six mesures. Puis l’autre touchait la même chose, quoique différemment. Il me souvient qu’un violon sonna de la pure chromatique et bien que d’abord cela me sembla fort rude à l’oreille, néanmoins je m’accoutumait peu à peu à cette nouvelle manière, et y pris un extrême plaisir. Mais surtout ce grand Friscobaldi fit paraître mille sortes d’inventions sur son clavecin, l’orgue tenant toujours ferme.

       

Roman consultable sur Google Books, p. 322-325.


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