Par support > Romans, nouvelles > Germont, Le Napolitain ou le défenseur de sa maitresse

 

1698

[Anonyme], Germont, Le Napolitain ou le défenseur de sa maitresse

Lyon : Ph. Drevo, 1698

La voix la plus touchante de tout Madrid

Dans son roman sur les intrigues amoureuses de la cour d’Espagne, l’auteur anonyme raconte entre autres l’histoire d’un Duc, premier ministre et premier favori du roi, et de la belle Thérèse de Mendoza. Dans ses tentatives de séduction, favorisées par le jeune Lucio, le Duc découvre une qualité supplémentaire de sa maîtresse, sa capacité à chanter.

Lucio voyant que toute la compagnie était dans une profonde admiration de ces petits miracles de l’art, dit qu’il était de l’avis du Seigneur Mendoza qui croyait qu’il y avait en tout cela de l’enchantement, et que s’il ne craignait pas de déplaire à Monsieur le Duc il conseillerait à la compagnie de sortir promptement de ce lieu. Cela fut dit d’un air assez badin pour mettre tout le monde en belle humeur, et le duc qui en rit comme les autres ayant appuyé sa canne sur une autre endroit du boisage fit ouvrir une cinquième armoire où il y avait deux tables dont l’une était chargée de quatre ou cinq instruments de musique, et l’autre d’une excellente collation de confitures sèches, et liquides avec de fiasques de cristal remplies de liqueurs. S’il est vrai, dit il, Messieurs que la musique ait le pouvoir de désenchanter, voilà de quoi nous garantir de la frayeur que Lucio voudrait vous inspirer. On tira les tables dans le milieu de la chambre, et Dom Antonio qui ne cherchait qu’à faire plaisir à son bienfaiteur, mit un luth entre les mains de sa sœur la priant de jouer quelques pièces nouvelles. Vous savez bien, dit-elle tout haut, que je ne me suis pas trop fait prier la première fois que l’on m’obligea de jouer en présence de Monsieur, mais ce n’est pas aujourd’hui la même chose, continua-t-elle en souriant, car s’il est vrai comme le disent mon père et Lucio que nous sommes tous enchantés, il faut absolument, dit-elle, en présentant avec respect le luth au Duc, que l’enchanteur lève le charme. Ce que vous demandez, Mademoiselle est trop juste dit le Duc, il faut vous obéir. Il s’en acquitta avec une justesse si méthodique, et si savante que chacun en fut ravi ; après quoi il remit le luth à sa belle maîtresse qui joua durant une demie heure avec tout ce que l’on peut de délicatesse, et comme elle allait quitter le luth, son frère lui dit qu’elle n’en serait pas quitte pour cela, qu’il fallait éprouver si sa voix serait désenchantée aussi bien que ses mains, elle voulait s’en excuser, mais son père lui ayant témoigné qu’il le souhaitait, elle accorda l’instrument au ton qu’elle voulait prendre, et commença de chanter les paroles suivantes d’une méthode si juste qu’on aurait dit qu’elle n’avait jamais fait autre chose en sa vie […]. Ce fut tout à coup que l’enchanteur fut véritablement enchanté, car le duc qui n’était point prévenu que Mademoiselle de Mendoza eût la voix la plus touchante de tout Madrid s’abandonna à un si grand ravissement qu’on aurait dit à le voir que toute son âme était à ses oreilles quoi qu’il semblât dévorer des yeux cette charmante personne. C’était aussi trop pour cet amant passionné de trouver une voix si mélodieuse jointe à toutes les autres perfections qu’il avait remarquées dans sa maîtresse, mais le plaisir qu’il avait ressenti en l’entendant chanter augmenta, lors qu’ayant demandé à Dom Antonio de qui étaient les paroles de cet air, il lui dit, sans y entendre finesse, qu’elles étaient de sa sœur, qui se divertissait quelques fois à en faire de pareilles sur de petits airs qui étaient de son goût. Le plaisir de cette agréable après dîner finit par la collation dont le Duc fit les honneurs, remettant à un autre jour à voir les dehors de la maison.

       Roman consultable sur Google Books, p. 293-297.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »