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1702

Jean-Baptiste Morvan de Bellegarde, Lettres curieuses de littérature et de morale

Paris : J. et M. Guignard, 1702.

Instruire et émouvoir

La tragédie a vocation à éduquer moralement les spectateurs. Comparaison entre les auteurs antiques et contemporains. Telle ou telle configuration provoque telle ou telle émotion. Voir aussi p. 366-370.

Puisque la tragédie est une instruction pour porter les hommes à la vertu et pour les détourner des vices, la règle générale est que la vertu soit récompensée et le crime puni. Les Modernes sont beaucoup plus circonspects en cela que les Anciens puisqu’Euripide, après avoir représenté la perfidie de Jason et la cruauté de Médée, qui trempa ses mains dans le sang de ses propres enfants et qui commit encore plusieurs autres crimes abominables, les laisse sur leur bonne foi au lieu de soulever contre eux les dieux et les hommes pour les punir. Les parricides, les incestes doivent être suivis de châtiments proportionnés à la noirceur de ces grands crimes. Mais les disgrâces des personnes moins coupables que malheureuses font une impression plus douce : c’est ce qui attire ces larmes de compassion, qui attendrissent l’âme et qui causent un plaisir si délicat. Pour exciter ce sentiment dans le cœur du spectateur, il faut que le poète amène avec art les aventures de son héros, et que la perfidie de ceux qui lui sont unis par les liens du sang, de l’amitié ou de l’amour le fasse tomber dans le malheur. C’est une chose ordinaire qu’un ennemi mette tout en œuvre pour se venger d’un ennemi après en avoir reçu de grands outrages : les mauvais traitements qu’il lui fait ne surprennent point.

Extrait de la cinquième lettre, « Sur les pièces de théâtre », disponible sur Gallica, p. 340-342.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »