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1670

Le Boulanger de Chalussay, Elomire hypocondre

Paris, Sercy, 1670

Une précieuse parle d'Elomire

A la troisième scène de l'acte III, Oronte, médecin qui lit dans les urines, identifie la précieuse Alphée. Le dialogue se poursuit naturellement sur les Précieuses de Molière, puis sur son Ecole des femmes et sur la nature de son comique en général.

ORONTE prenant une autre fiole,
Alphée ?
Ah ! ma foi, nous tenons une folle fieffée,
C’est une précieuse.

ALPHEE :
O dieux ! qui vous l’a dit ?

ORONTE :
Votre urine, ma fille, et cela me suffit ;
Car grâce au ciel, je suis un peu naturaliste.

ALPHEE :
Mais que ne dites vous plutôt ulinaliste ?
Ce telme convient mieux à la sose.

ORONTE :
Il est vrai,
Et le monde m’appelle ainsi dans Sennelay :
Mais, de grâce, depuis que l’illustre Elomire
A dépeint votre engeance et nous en a fait rire,
Depuis que son théâtre a retenti des mots
Dont vous charmiez jadis les sottes et les sots,
Se peut-il que, passant pour folles enragées,
Vous ne vous soyez pas encore corrigées,
Et qu’il s’en trouve encore aujourd'hui parmi nous
Une qui devrait être en l’hôpital des fous ?

ALPHEE :
Quoi, Monsieul, ce bouffon, pal de sottes glimaces,
Dont il fait mal au coeul plus que sales limaces,
Palce qu’en les faisant, il écume en velat,
Nous livlela chez vous poul folles de calat ?
Je ne m’étonnelais peu qu’un caque d’ignolance
Eut poul ce grimacier pareille défélence,
Mais que de Sennelay le médecin fameux
Donne dans le panneau, comme un petit molveux,
Qu’il estime un auteul, qu’il le loue et l’admile,
Palce qu’en lecitant ses vels, il l’a fait lile
Pal les contolsions dignes d’un possédé,
Certes, je suis à bout, pal un tel procédé.
Encor s’il nous cachait sous ces gestes clotesques
Quelques beaux tlaits d’esplit en paloles bullesques,
Ales qu’on aurait li de ses contolsions ;
Ses livles nous plailaient, lolsque nous les lislions ;
Mais de glace, Monsieul, quelle est la comédie,
Encor qu’il n’en n’ait fait aucune où l’on ne die
Qu’il faut clever de lile, où l’on puisse tlouver
Le moindle tlait d’esplit que l’on doive admilel,
Par exemple ce le de l’Ecole des femmes
Ce le qui fit tant lile, et qui chalma tant d’âmes ;
Ce le qui mit cet homme au lang des beaux esplits,
L’avez-vous jamais pu lile dans ses éclits,
Sans dégoût ; sans chaglin, sans une holeul extlême,
Non plus que son chat molt, et sa talte à la clème ?
Cependant dites vous, pal de bonnes laisons,
Cet auteul nous condamne aux Petites Maisons,
Et palce qu’il a dit que nous en étions dignes,
Vous nous mettez au lang des folles plus insignes.

[…]

ORONTE :
[…] J’en demeure d’accord, vous m’avez confondu :
En effet qui croirait qu’un esprit tout perdu
D’histoires, de romans, enfin, qu’une hypocondre,
Par ses raisonnements aurait pu me confondre ?
Pourtant vous l’avez fait ; oui, j’avoue avec vous,
Qu’Elomire ne doit sa gloire qu’à des fous,
Et qu’un esprit bien fait, quel qu’il soit, dégénère,
D'abord que ses écrits commencent à lui plaire.
Je demeure d’accord que pour se réjouir,
On le peut aller voir, et qu’on le peut ouïr :
Mais il faut que celui qui va voir Elomire,
Le voie en fagotin, c'est-à-dire pour rire.

in Comédies et Pamphlets sur Molière, G.Mongrédien, Paris, Nizet, 1986, p.270- 272  
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