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1670

Le Boulanger de Chalussay, Le Divorce comique; comédie insérée dans Elomire hypocondre

Paris, Sercy, 1670

Performance tragique d'Elomire

Alors que la troupe d'Elomire est en débat, trois spectateurs arrivent à temps pour juger les performances tragiques du chef de troupe. Trois essais manqués conduisent Elomire à accepter de se cantonner à des rôles de farceur.

LE CHEVALIER.
Juges d’un point comique : ah ! c’est nous faire honneur,
D’autant plus qu’il s’agit de juger d’un acteur,
Et d’un acteur encor, tel que l’est Elomire.

FLORIMONT.
C'est-à-dire fort grand, dans les pièces pour rire,
Moyennant que le drôle en soit pourtant l’auteur,
Car, aux pièces d’autrui, je suis son serviteur.
De sa vie il n’entra dans le sens d’aucun autre.

ELOMIRE.
C’est là ton sentiment, mais ce n’est pas le nôtre.

LE CHEVALIER, A Elomire
Récite donc des vers, et des plus sérieux.

ELOMIRE.
J’en vais dire à tirer des larmes de vos yeux.
Écoutez, je vais dire une fort belle stance ;
Surtout observez bien mon geste, et ma cadence.
[Il déclame des stances]

LE CHEVALIER, interrompant Elomire
Plus de stance ; ah ! ce n’est pas ton fait.

ELOMIRE.
Tout de bon ?

LE CHEVALIER.
Tout de bon.

ELOMIRE.
En effet ?

LE CHEVALIER.
En effet.

ELOMIRE.
Disons donc d’autres vers qui soient plus magnifiques,
Et que mon action rende plus pathétique.
Elomire recommence à réciter des vers, avec plus de gestes qu’auparavant.
[Il déclame d’autres vers]

LE CHEVALIER, l’interrompant
Fais-tu de ton mieux, Elomire ?

ELOMIRE.
Pourquoi ?

LE CHEVALIER.
Parce que tu le dois ; sinon prends garde à toi.

ELOMIRE, étonné Quoi, je ne fais pas bien ?

LE CHEVALIER.
Comment, bien ? au contraire,
Je ne t’ai, sur ma foi, jamais vu si mal faire.
Que t’en semble, marquis ?

LE MARQUIS. Que m’en semblerait-il ?
Pour en juger ainsi, faut-il être subtil ?

LE CHEVALIER. Et toi, comte ?

LE COMTE.
Pour moi, je suis sur des épines,
Quand je l’entends parler, ou que je vois ses mines.

ELOMIRE.
Ne jugez pas encor ; quatre vers seulement
Vont vous désabuser.

LE CHEVALIER.
Dis-les donc promptement.

ELOMIRE, il recommence à réciter avec encore plus de mauvais gestes.

[Il déclame d’autres vers.]

LE CHEVALIER, interrompant derechef Elomire, et brusquement.
De grâce, tais-toi ; crois moi, cher Mascarille,
Fais toujours le docteur, ou fais toujours le drille ;
Car enfin, il est temps de te désabuser,
Tu ne naquis jamais que pour faquiniser ;
Ces rôles d’amoureux ont l’action trop tendre ;
Il faut par un regard, savoir se faire entendre,
Et par le doux accord d’un mot et d’un soupir,
Toucher ses auditeurs de ce qu’on feint souffrir ;
Mais si tu te voyais, quand tu veux contrefaire
Un amant dédaigné qui s’efforce de plaire,
Si tu voyais tes yeux hagards et de travers,
Ta grande bouche ouverte, en prononçant les vers,
Et ton col renversé sur tes larges épaules
Qui pourraient à bon droit être l’appui des gaules,
Si, dis-je…

ELOMIRE, interrompant le Chevalier
Cela dit qu’il faut faquiniser,
Et bien faquinisons ; mais comment apaiser
Ces critiques docteurs, qui me traitent d’impie
Et de maître d’école en fait de vilenie ?

LE CHEVALIER.
Il n’est rien plus aisé ; tu n’as qu’à retrancher
Tout ce que dans tes vers tu t’es vu reprocher.

ELOMIRE.
Je m’en garderai bien.

LE CHEVALIER.
Et pourquoi ?

ELOMIRE.
Pourquoi ? parce :
Il n’en resterait plus que pour faire une farce.

LE CHEVALIER.
Et bien, la farce est bonne après le sérieux :
Tu la joueras toi-même, et la joueras des mieux,
Et même avecque gloire : a-t-on dans ce royaume
Jamais vu des acteurs pareils à Gros-Guillaume,
Gautier et Turlupin ? Et de leurs temps toutefois,
Le sérieux était le grand goût des Français.
Mais après qu’on avait admiré Bellerose,
Ces trois fameux bouffons triomphaient dans leur prose,
Et l’innocent plaisir, dont ils charmaient les cœurs,
Les faisaient adorer, de tous les spectateurs.

ELOMIRE.
Parbleu, l’avis me plaît, j’en veux faire de même,
Et je vais tout châtrer, jusqu’à tarte à la crème.
Pour ces rôles transis, les prenne qui voudra ;
Je ferai désormais tout ce qu’on résoudra.

FLORIMONT.
Nous ferons donc pleurer, et puis tu feras rire.

ELOMIRE.
J’accepte le parti.

in Comédies et Pamphlets sur Molière , G.Mongrédien, Paris, Nizet, 1986, p. 293-8   
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