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[s. d.]

Jean Rou, Mémoires inédits et opuscules de Jean Rou (1638-1711)

Paris, Agence centale de la société, 1857

Comparaison Plaute, Térence, Molière

Dans la comparaison entre Plaute et Térence, le mémorialiste donne une préférence à Plaute qui a mieux compris le "jeu du théâtre"; il établit un parallèle entre Plaute et Molière et leurs publics respectifs.

Ceux qui ont préféré Térence à Plaute n’ont eu égard qu’à son style qui est plus doux et plus châtié que celui de Plaute ; mais si cet avantage de Térence ne peut être nié, Plaute, en récompense, paraît à presque tous les connaisseurs avoir beaucoup de génie ; en un mot, Térence a plus d’art que Plaute, mais Plaute a plus d’esprit que Térence ; Térence fait plus parler qu’agir, et Plaute plus agir que parler. Cela suffit, ce me semble pour faire pencher la balance du côté de Plaute ; car puisqu’il s’agit de mérite entre auteurs de pièces de théâtre et que le véritable caractère de la comédie consiste beaucoup plus dans l’action que dans le discours, il résulte de tout ce qui vient d’être dit que la vivacité de l’action et le nœud des incidents et des intrigues, régnant entièrement dans les pièces de Plaute, au lieu qu’ils ne paraissent presque point dans celles de Térence, tout ce qu’on peut dire en faveur de ce dernier est qu’il doit être estimé comme un auteur parlant fort juste, au lieu que Plaute doit être admiré comme un véritable poète comique. Il y a dans Horace un passage fort célèbre sur la préférence entre ces deux auteurs à l’égard duquel les critiques se trouvent fort partagés, c’est celui de l’Art poétique [v. 270] où les admirateurs des prétendus bons mots de Plaute sont comme traités de sots ; mais cela vient encore de ce qu’on ne s’entend guère bien sur cet article, non plus que sur celui dont nous avons déjà traité ; on demeure d’accord que Plaute a quelquefois des railleries froides, des jeux de mots et des quolibets, qui ne pouvant plaire à un siècle et à une cour aussi polis qu’étaient le siècle et la cour d’Auguste (au lieu que cela était supportable dans un état républicain, et en un siècle comme celui de Plaute), il ne faut pas s’étonner si Horace, qui était fait à ce bon goût-là, rejetait des traits si insipides ; mais ces quolibets et ces fades plaisanteries de Plaute, étant récompensées d’ailleurs par une infinité d'autres traits véritablement beaux et délicats, il faut de toute nécessité rendre cette justice à Horace, qu'à cet égard il ne refusait nullement à Plaute la louange qui lui était due, et que si d'un côté la censure d'Horace, comme on ne saurait en disconvenir, est bien fondée, il faut avouer d'ailleurs qu’elle ne tombe pas tant sur Plaute que sur ceux qui n’admiraient en lui que ces sortes de fadaises, et qui n’allaient à ses comédies que pour ses méchantes plaisanteries, qui étaient faites tout exprès pour eux ; à peu près comme de nos jours on voit le petit peuple de Paris et les courtauts de boutique être sur les pièces du fameux Molière, beaucoup plus sensibles à la représentation des Fourberies de Scapin, qu’aux peintures admirables qui se trouvent dans le BALLET DES FÂCHEUX, dans le TARTUFFE, et dans le MISANTHROPE. Or c’est là le véritable sens du passage d’Horace qui n’a point voulu par là mettre Térence au-dessus de Plaute comme quelques savants l’ont prétendu. Cela n’empêche donc point qu’on ne puisse dire que ce qui a donné le plus de réputation à Plaute, c’est son style et sa manière de dire des plaisanteries [jugement de Varron sur le style de Platon] Cicéron, qui avait un gout si fin pour tout ce qui regarde le bel esprit, attribue à Plaute une délicatesse toute particulière pour la fine raillerie et pour les rencontres ingénieuses ; une adresse singulière à jeter du sel dans toutes ses plaisanteries , un air enjoué et cette urbanité romaine pour laquelle notre langue ne nous a point donné de terme équivalent. [...]

[Sur les règles]

A tout cela près, on peut dire que Plaute a mieux entendu le jeu de théâtre que Térence ; mais que Térence en a un peu plus exactement observé les règles. Au reste, Plaute et Térence ont eu une égale habileté à bien dépeindre et soutenir le caractère de tous leurs personnages.


Mémoires en ligne sur Gallica  p. 250


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