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1679

[Anonyme], Le Roman comique, troisième partie

Paris, Barbin, 1679

Un festival de théâtre au Mans

Un mécène organise des festivités au Mans, ce qui incite les comédiens de la troupe à y demeurer un moment encore.

Il avait la plus grande partie du son bien dans le Maine, avait pris une maison dans Le Mans et y attirait souvent des personnes de condition de ses amis, tant courtisans que provinciaux, et même quelques beaux esprits de Paris, entre lesquels il se trouvait des poètes du premier ordre, et enfin il était une manière de Mécénas moderne. Il aimait passionnément la comédie et tous ceux qui s’en mêlaient et c’est ce qui attirait tous les ans dans la capitale du Maine les meilleures troupes de comédiens du royaume. Ce seigneur que je vous dis arriva au Mans dans le temps que nos pauvres comédiens en voulaient sortir, mal satisfaits de l’auditoire manceau. Il les pria d’y demeurer encore quinze jours pour l’amour de lui et pour les y obliger leur donna cent pistoles, et leur promit autant quand ils s’en iraient. Il était bien aise de donner le divertissement de la comédie à plusieurs personnes de qualité, de l’un et de l’autre sexe, qui arrivèrent au Mans dans le même temps et qui y devaient faire séjour à sa prière. […] Le Mans donc se trouva plein de noblesse, grosse et menue. Les hôtelleries furent pleines d’hôtes et la plupart des gros bourgeois qui logèrent des personnes de qualité ou des nobles campagnards de leurs amis salirent en peu de temps tous leurs draps fins et leur linge damassé. Les comédiens ouvrirent leur théâtre en humeur de bien faire, comme des comédiens payés par avance. Le bourgeois du Mans se réchauffa pour la comédie. Les dames de la ville et de la province étaient ravies d’y voir tous les jours des dames de la cour, de qui elles apprirent à se bien habiller, au moins mieux qu’elles ne faisaient, au grand profit de leurs tailleurs, à qui elles donnèrent à reformer quantité de vieilles robes. Le bal se donnait tous les soirs, où de très méchants danseurs dansèrent de très mauvaises courantes, et où plusieurs jeunes gens de la ville dansèrent en bas de drap d’Hollande ou d’Usseau et en souliers cirés.
Nos comédiens furent souvent appelés pour jouer en visite. L’Etoile et Angélique donnèrent de l’amour aux cavaliers et de l’envie aux dames. Inezille, qui dansa la sarabande à la prière des comédiens, se fit admirer : Roquebrune en pensa mourir de replétion d’amour, tant le sien augmenta tout à coup, et Ragotin avoua à la Rancune que, s’il différait plus longtemps à le mettre bien dans l’esprit de l’Etoile, la France allait être sans Ragotin.

Edition de 1857 disponible sur Gallica.


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