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1671

Madame de Sévigné, Lettre à Madame de Grignan

Théâtralisation d'une liaison avec la Champmeslé

Dans une lettre à sa fille du 8 avril 1671, Madame de Sévigné raconte la rupture de son fils avec la célèbre Champmeslé.

Mais ce n'est pas tout : quand on rompt d'un côté, on croit toujours se racquitter de l'autre ; on se trompe. La jeune merveille [La Champmeslé] n'a pas rompu, mais je crois qu'elle rompra. Voici pourquoi : mon fils vint hier me chercher du bout de Paris pour me dire l'accident qui lui était arrivé. Il avait trouvé une occasion favorable, et cependant, oserais-je le dire ? Son dada demeura court à Lérida. Ce fut une chose étrange ; la demoiselle ne s'était jamais trouvé à une telle fête : le cavalier en désordre sortit en déroute, croyant être ensorcelé ; et ce qui vous paraîtra plaisant, c'est qu'il mourait d'envie de me conter sa déconvenue. Nous rîmes fort ; je lui dis que j'étais ravie qu'il fût puni par où il avait péché. Il s'est pris à moi, et me dit que je lui avais donné de ma glace, qu'il se passerait fort bien de cette ressemblance, que j'aurais bien mieux fait de la donner à ma fille. Il voulait que Pecquet la restaurât ; il disait les plus folles choses du monde, et moi aussi : c'était une scène digne de Molière. Ce qui est vrai, c'est qu'il a l'imagination tellement bridée, que je crois qu'il n'en reviendra pas de si tôt. J'eus beau l'assurer que tout l’empire amoureux est rempli d'histoires tragiques : il ne peut se consoler. La petite Chimène dit qu'elle voit bien qu'il ne l'aime plus, et se console ailleurs. Enfin c'est un désordre qui me fait rire, et que je voudrais de tout mon coeur qui le pût retirer d'un état si malheureux à l'égard de Dieu.
Il me contait l'autre jour qu'un comédien voulait se marier, quoiqu'il eût un certain mal un peu dangereux et son camarade lui dit : « Eh, morbleu ! attends que tu sois guéri, tu nous perdras tous ! ». Cela m'a paru fort épigramme.

Sévigné, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1985, vol. I, p. 210.


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