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ca. 1690

Bernard de Fontenelle, Histoire du théâtre français

Oeuvres diverses de Monsieur de Fontenelle, t. IV, Paris, Brunet, 1742

Extraits de maître Patelin

Bien qu'il s'agisse d'un ouvrage théorique, certains passages de l'"Histoire du théâtre français" de Fontenelle laissent poindre des descriptions de représentations. En outre, les critères d'évaluation qu'utilise Fontenelle sont témoin des critères de son temps.

Je voudrais copier d'un bout à l'autre les scènes qui suivent, tant elles me paraissent comiques et d'un jeu agréable. Cependant je vais tâcher à ne point sortir des bornes d'un extrait. Le drapier vient, Guillemette lui ouvre la porte et chaque fois qu'il veut parler, elle lui dit de parler bas.

[…]

Quand le drapier va lui demander son argent, Patelin le prend pour son apothicaire.

Ah ! Maître Jean, plus dur que pierre,
J'ai deux petites crottes
Noires, rondes comme pelottes :
Dois-je prendre un autre clystère ?

LE DRAPIER
Six aulnes de drap maintenant,
Dites, est-ce chose avenant,
Par votre foi que je les perde ?

PATELIN
Si pussiés éclaircir ma…
Maître Jean, elle est si dure.

Il est aisé de voir quel jeu de théâtre il y a à cela.

[…]

A en juger par le langage, elle doit être à peu près du temps de Louis XII, mais il y a des choses qui ne paraissent pas indignes du siècle de Molière, ni de Molière même. Une preuve qu'elle a eu un grand succès, c'est qu'elle a donné de nouveaux mots à la langue et fait des proverbes. Patelin, qui n'était qu'un nom fait à plaisir comme Tartuffe, est devenu un mot de la langue qui signifie flatteur et trompeur, de la même manière que Tartuffe signifie présentement un faux dévôt. Même Patelin a une famille que Tartuffe n'a pas. Il a produit pateliner et patelinage. Revenons à nos moutons, qui est un proverbe si usité, vient encore de la même source. C'est ce que dit le juge au drapier qui oublie ses moutons pour parler de son drap. Le plus grand honneur qui puisse arriver à une comédie, c'est de faire des proverbes. Il y a tout lieu de croire qu'il s'en forme présentement plusieurs tirés des comédies de Molière, mais le temps n'y a pas mis la dernière main.

Texte de l'édition Paris, Fayard, 1989, p. 54-61.

Traité disponible sur Gallica.


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