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1669

Mlle de Scudéry, La Promenade de Versailles

Paris, Barbin, 1669.

Relation de la comédie de George Dandin

Déambulant dans les jardins de Versailles, les personnages découvrent sur un banc un billet abandonné. Il s'agit d'une relation du « Grand Divertissement » de Versailles, fêtes données par Louis XIV en juillet 1668. Le narrateur fait alors un étonnant parallèle entre les amours et les comédiens.

On ne peut assurément imaginer rien de plus magnifique que l’agréable confusion qui se voyait dans ces superbes jardins qu’il fallait traverser pour aller à la comédie, en un lieu qui surprend également, et par sa grandeur, et par la beauté d’un théâtre bâti, comme il semblait, pour l’éternité. Cependant, ce lieu-là n’est qu’une grande feuillée, mais si belle, si haute, et si ferme qu’il y a un amphithéâtre à contenir trois mille personnes, sans être pressées. Le théâtre a des colonnes magnifiques, des statues, des jets d’eau en abondance, et mille autre ornements qui seront sans doute dépeints ailleurs plus exactement que je ne le pourrais faire ici. La première face du théâtre fut un superbe jardin orné de canaux, de cascades, de la vue d’un palais, et d’un lointain au-delà. Une seconde collation offerte au bord du théâtre, dans cent corbeilles fort propres, des plus beaux fruits qui furent jamais, fit voir que l’abondance se trouvait partout. Ensuite, une agréable comédie de Molière fut représentée ; le théâtre changea plusieurs fois très agréablement, et la comédie fut entremêlée d’une symphonie la plus surprenante et la plus merveilleuse qui fût jamais, de quelques scènes chantées par les plus belles voix du monde, et de diverses entrées de ballet, très divertissantes et très bien dansées. La dernière, surtout, fut admirable par une prodigieuse quantité de personnages et de figures différentes, dont la foule régulière, s’il est permis de parler ainsi, occupa tour à tour les places du théâtre, avec tant d’ordre et de justesse qu’on n’a jamais rien vu de pareil. J’oubliais de vous dire, Madame, que pendant qu’on présenta cette collation au bord du théâtre, je demandai à ce nouvel ami que la fête m’avait donné, si tous ces amours dont il m’avait parlé étaient à la comédie.
– N’en doutez pas, répliqua-t-il sans hésiter : car les amours sont les premiers et meilleurs comédiens du monde ; ils pleurent, ils rient, ils font cent personnages différents selon les occasions, et passent d’une extrémité à l’autre en un instant. Au sortir de là, on ne pouvait penser qu’il pût y avoir rien de plus beau. On fut cependant, malgré la nuit qui était survenue, vers le salon où le roi devait souper.

Édition en ligne sur Gallica, p. 584-588.


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