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1660

Jean Loret, La Muse historique

Paris, Chénault, [1656-1665].

Le Xerxès de Cavalli

Loret, dans sa lettre du 27 novembre 1660, évoque la représentation du Xerxès de Cavalli :

Dans le Louvre, dernièrement,
On eut, pour divertissement,
Une comédie en musique,
De Xerxès, monarque persique,
Dont les intermèdes follets
Étaient des danses et ballets.
Je crois que la chose était belle,
Mais d’en faire un récit fidèle,
C’est ce qui ne m’est pas permis.
Il est vrai qu’on m’avait promis
Entrée et place d’importance
Pour voir et comédie et danse :
Un des gens de Sa Majesté
À cela m’avait invité,
Mais, ô mon lecteur bénévole,
Il ne m’a pas tenu parole.
Ainsi, je te dis, bien et beau,
Que je ne puis faire un tableau
De cette action éclatante,
Qui fut, je crois, toute charmante.


[autre discours, plus important, dans la lettre du 4 décembre 1660]
Xerxès, poème dramatique,
Qu’on ne récite qu’en musique,
S’est plusieurs fois représenté
Au logis de Sa Majesté.
Il ne m’a point, par ses merveilles,
Charmé les yeux, ni les oreilles,
Car je n’ai pu, pour voir cela,
Parvenir encor jusque là :
Mais des barons, marquis et comtes
M’en ont fait tout plein de beaux contes,
Et le théâtre, seulement,
Est construit si superbement
Qu’on ne saurait voir ce spectacle
Sans, tout soudain, crier miracle.
Or, argent, azur et brocards
Y reluisent de toutes parts,
Et par un grand nombre de lustres,
Ses décorations illustres
Ont un éclat si surprenant,
Que le siècle de maintenant
N’a point vu de splendeurs égales
Dans les maisons même royales ;
Et, toutefois, ouï dire j’ai
Que cela n’est qu’un abrégé
Des apprêts que fait et fait faire
Ce machiniste extraordinaire
Qui depuis mai, juin ou juillet,
Travaille pour le grand ballet.


[suite dans la lettre du 11 décembre 1660].
Enfin, je l’ai vu, le Xerxès, [grande comédie en musique]
Que je trouvai long, par excès ; [représentée au Louvre]
Mes yeux, pourtant, et mes oreilles
Y remarquèrent cent merveilles,
Sans compter mille autres appâts
Lesquels je ne comprenais pas,
N’entendant que la langue mienne,
Et, point du tout, l’italienne.
Mais j’étais près de quelques-uns
Qui n’étaient pas des gens communs,
Oui bien d’esprit et de naissance,
Qui montraient, à leur contenance,
Par joyeux applaudissements,
Quels étaient leurs ravissements.
[Chaque] danse était merveilleuse,
La musique miraculeuse,
Le théâtre frappait les yeux
D’un éclat riche et précieux.
La belle et spacieuse voûte
D’un or brodé reluisait toute
Par la quantité de flambeaux.
Les objets paraissaient fort beaux
Les pilastres, festons et frises
Étaient choses toutes exquises ;
Des acteurs les divers talents
Furent jugés très excellents ;
Leurs grâces, concerts et mélanges
Attiraient cent et cent louanges :
Mais, entre tous, on en donna
À l’aimable Ségnore Anna,
Qui joua bien son personnage,
Et dont le chant et le visage
Enchantèrent à qui mieux mieux
L’un l’oreille, et l’autre les yeux.
Enfin, il faut que je le die,
Les ballets et la comédie
Se pouvaient nommer, sur ma foi
Un divertissement de roi.
Mais, à parler en conscience,
J’eus bien besoin de patience :
Car moi, qui suis Monsieur Loret
Fus sur un siège assez duret,
Sans aliment et sans breuvage,
Plus d’huit heures et davantage.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »