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1665

Charles Robinet ; Adrien Perdou de Subligny, Lettres en vers

Paris, Lesselin, 1665 et Paris, Muguet, 1665.

Comptes-rendus d'Alexandre Le Grand de Racine

Subligny le 20 décembre et Robinet le 27 décembre 1665 rendent chacun compte, quoique bien plus longuement pour Robinet, des représentations de l'Alexandre de Racine chez Molière puis à l'Hôtel de Bourgogne.

[Subligny]

Quand je n’aurais pas dit dès le commencement
Qu’un grand Monarque était dans cette compagnie
Et quoiqu’incognito faisait son ornement,
Il n’est sur mon récit aucun qui ne le die,
Car il suffit pour faire foi
Que c’était un plaisir de roi.
On y vit le grand Alexandre
Représenté par Floridor,
Et nommer cet acteur qui vaut son pesant d’or,
C’est dire encore assez qu’on se plut à l’entendre.
Ces plaisirs différents consommèrent la nuit,
Puis on se retira sans bruit,
Les cavaliers pour plaindre leur défaites,
Les dames pour conter à part soi leurs conquêtes.


[Robinet]

Toujours le fils de Jupiter,
Qu’il faisait mauvais dépiter,
J’entends le fameux Alexandre,
Qui de ce dieu se crut descendre,
Paraît, comme on sait, à la fois
Sur nos deux théâtres français.
De l’auteur admirez l’adresse,
Car pour ce vainqueur de la Grèce
Ce n’est pas trop de ces deux lieux,
Sachant que cet ambitieux
Souhaitait en faisant la guerre
Être vu de toute la terre.
Dimanche, en son Palais-Royal,
Je l’allai voir d’un cœur féal.
J’y découvris, en perspective
Agréable et récréative,
Les pavillons et campements
Qui pour lui furent si charmants,
Et je le vis aussi lui-même [le sieur de la Grange.]
Dedans une vieillesse extrême,
Mais beaucoup plus beau qu’il n’était
Quand l’univers il conquêtait.
D’ailleurs, il me parut plus tendre
Que ne fut l’ancien Alexandre,
Mais, à dire la vérité,
Ici sa jeune majesté
A bien pour objet de sa flamme
Une toute autre aimable dame. [Mademoiselle de Molière.]
Ô justes Dieux, qu’elle a d’appas !
Et qui pourrait ne l’aimer pas ?
Sans rien toucher de sa coiffure
Et de sa belle chevelure,
Sans rien toucher de ses habits,
Semés de perles, de rubis
Et de toute la pierrerie
Dont l’Inde brillante est fleurie,
Rien n’est si beau ni si mignon,
Et je puis dire tout de bon
Qu’ensemble amour et la nature
D’elle ont fait une mignature [sic]
Des appas, des grâces, des ris
Qu’on attribuait à Cypris.
Là, Porus fait aussi son rôle [le sieur de la Thorillière.]
Et généreusement contrôle
Ce grand vainqueur de l’univers,
Lors même qu’il le tient aux fers,
Ainsi que la grande Axiane [Mademoiselle du Parc.]
Brillante comme une Diane,
Tant par ses riches vêtements
Que par tous ses attraits charmants
Qui font que ce Porus soupire
Pareillement sous son empire.
Enfin j’y vis, sous des habits
Qui sont sans doute aussi de prix,
Éphestion avec Traxile, [les sieurs du Croisy et Hubert]
Et certes il est difficile
De pouvoir rien trouver de tel
Si ce n’est peut-être à l’Hôtel.
Je verrai donc ce qui s’y passe
Et puis, remontant au Parnasse,
Je tâcherai, lecteur accort,
De vous en faire mon rapport.
Princesse, vous aimez la troupe de Molière
Et vous la protégez par grâce singulière ;
Ainsi vous vous plairez d’en lire ce discours,
Qui de notre missive enfin borne le cours.
Belle Altesse, des dons de tous les dieux ornée,
Je prends congé de vous jusques à l’autre année.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


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