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1668

Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Chénault, 1668.

Représentation du Baron d'Albikrac chez Monsieur

La lettre du 29 décembre 1668 annonce une représentation du Baron d'Albikrac de Thomas Corneille chez Monsieur, frère du roi. Il en fait le compte-rendu le 2 janvier 1669. C'est l'occasion de faire paraître une suite d'éloges sur les personnes de qualité présentes :

Ce soir ou demain, chez Madame,
En qui l’on voit une belle âme
Joindre mille divins trésors
Aux appas d’un aussi beau corps,
On doit, au jour de forces lustres,
Devant plusieurs beautés illustres,
Qui font dans les cœurs cric et crac,
Voir le cher Baron d'Albikrac.
C’est de l’habile sieur de L'Île
Une comédie en beau style,
Où mille jolis incidents
Font sans cesse montrer les dents,
C’est-à-dire, sans cesse rire,
Et même, je le puis dire,
À se tenir les deux côtés,
Comme, sans contre-vérités,
Que Poisson dans son personnage
Se surpasse et fait, ma foi, rage,
Et que tous les autres acteurs
Y sont de parfaits enchanteurs.


[2 janvier 1669]

Les comédiens de l'Hôtel,
Par ce poème non tel quel,
Dont je fis un petit chapitre
Dans ma fin de dernière épître,
Savoir Le Baron d'Albikrac,
Trouvé bon malgré tout mic-mac,
Firent le prélude et la tête
De toute la joyeuse fête,
Dans le premier des susdits lieux,
Où chacun d’eux joua des mieux
Et, mieux que tous les Hippocrates,
Désopila les belles rates
Du beau monde illec assemblé.
Or, j’y fus de plaisir comblé,
Grâce au très obligeant Mérille,
Qui d’une manière civile
Me convia d’y prendre rang.
Tout de même que quelque Grand,
Et grâce encor à cette belle
Qui m’offrit un siège auprès d’elle,
D’où je couchais commodément
En joue, et fort distinctement,
Toutes les beautés conviées
Et dessus le volet triées,
De qui les appas glorieux
Font le cher paradis des yeux.
Ces beautés, fort élaborées,
Et magnifiquement parées,
Brillaient de leurs plus beaux joyaux,
Et tendaient aux cœurs des panneaux,
Dans leurs attraits presque adorables,
Qui paraissaient inévitables.
Madame, entre elles, toutefois,
Paraissait plus belle cent fois,
Et j’ose soutenir, en somme,
Qu’elle aurait obtenu la pomme,
Id est, de la beauté le prix,
Des mains du feu berger Paris.
Mademoiselle, sa parente,
Princesse si fort apparente,
Et de si grande majesté,
Brillait, des plus, à son côté,
Avecque Madame de Guise,
Que pour maintes raisons l’on prise,
Et qui rend du duc son époux
Le destin glorieux et doux.
Quand on eut fait la comédie,
Qui ne fut pas sans mélodie,
Ces beautés allèrent tabler,
Et leurs goûts de plaisirs combler
Par tous les mets plus délectables
Que l’on servit sur quatre tables,
Comme pour des divinités,
Au cabinet des raretés.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »