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1669

Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Chénault, 1669.

Le retour du Tartuffe

Dans sa lettre du 9 février 1669, Robinet rend compte de la re-re-création de Tartuffe. Il en fait le compte-rendu dans sa lettre du 16 février 1669. Le 9 février, la pièce est encore mentionnée :

À propos de surprise, ici,
La mienne fut très grande aussi
Quand, mardi, je sus qu’en lumière
Le beau Tartuffe de Molière [autrement L’Imposteur]
Allait paraître, et qu’en effet,
Selon mon très ardent souhait,
Je le vis, non sans quelque peine,
Ce même jour-là, sur la scène,
Car je vous jure, en vérité,
Qu’alors la curiosité,
Abhorrant, comme la nature,
Le vide, en cette conjoncture,
Elle n’en laissa nulle part,
Et que maints coururent le hasard
D’être étouffés dedans la presse,
Où l’on oyait crier sans cesse :
"Je suffoque, je n’en puis plus !
Hélas ! Monsieur Tartufius,
Faut-il que de vous voir l’envie
Me coûte peut-être la vie ?"
Nul néanmoins n’y suffoqua,
Et seulement on disloqua
À quelques-uns manteaux et côte.
À cela près, qui fut leur faute,
Car à la presse vont les fous.
On vit, en riant à tous coups,
Ce Tartuffe, ou cet hypocrite,
Lequel, faisant la chattemite,
Sous un masque de piété
Déguise sa malignité,
Et trompe ainsi, séduit, abuse,
La simple, la dupe et la buse.
Ce Molière, par son pinceau,
En a fait le parlant tableau,
Avec tant d’art, tant de justesse
Et, bref, tant de délicatesse,
Qu’il charme tous les vrais dévots,
Comme il fait enrager les faux ;
Et les caractères, au reste,
C’est une chose manifeste,
Sont tous si bien distribués
Et naturellement joués,
Que jamais nulle comédie
Ne fut aussi tant applaudie.


[16 février]

À propos d’ébat théâtral,
Toujours, dans le Palais-Royal,
Aussi, Le Tartuffe se joue,
Où son auteur, je vous l’avoue, [Le sr Molière.]
Sous le nom de Monsieur Orgon,
Amasse et pécune et renom.
Mais pas moins encor je n’admire
Son épouse, la jeune Elmire, [Madlle Molière.]
Car on ne saurait, constamment,
Jouer plus naturellement.
Leur mère, Madame Pernelle, [représentée par le sieur Béjart.]
Est une plaisante femelle,
Et s’acquitte, ma foi, des mieux
De son rôle facétieux.
Dorine, maîtresse servante, [Madlle Béjart.]
Est encor bien divertissante ;
Cléante enchante et ravit
Dans les excellents vers qu’il dit ; [Le Sr de la Thorillière.]
Ces deux autres, ou Dieu me damne,
Damis et sa soeur Marianne, [Madlle de Brie et le Sr Hubert.]
Qui sont les deux enfants d’Orgon,
Y font merveilles tout de bon.
Valère, amant de cette belle, [Le Sr de la Grange.]
Des galants y semble un modèle,
Et le bon Tartuffe, en un mot, [Le Sr du Croisy.]
Charme en son rôle de bigot.
[…] L’un des soirs de cette semaine,
Notre excellente souveraine
S’en fit, en son appartement,
Donner le divertissement,
Et rit bien de voir l’hypocrite
Ajusté comme il le mérite.


[9 février] :

Monsieur le Duc, le samedi,
Non pas, ce fut le vendredi,
Satisfit à cette coutume
En faisant voir, en grand volume,
Qu’il est magnifique et galant,
Autant que brave et que vaillant.
Toutes les loges de la salle
Où Molière Tartuffe étale
Avaient, comme en un tournemain,
Ou bien du soir au lendemain,
Été mignardement parées
Et de tous côtés décorées
De pilastres et de festons,
Revenant à bien des testons,
Ainsi que tout l’amphithéâtre,
Et le parterre et le théâtre.
Des lustres, je ne sais combien,
Produisaient là, foi de chrétien,
Ou d’historien véridique
(Foi dont ici plus je me pique),
Un jour aussi brillant et beau
Que cil du solaire flambeau.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »