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1670

Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Chénault, 1670.

Création des Amants magnifiques

Dans sa lettre du 8 février 1670, Robinet relate la création des Amants magnifiques de Molière lors du grand Divertissement royal de 1670. Il en fait le compte-rendu dans sa lettre du 22 février.

Comme voici le Carnaval,
Un Divertissement royal
À présent, notre cour occupe,
Dont, sans que rien me préoccupe,
Je puis dire, après l'imprimé
Demi-prosé, demi-rimé,
Qu'en a dressé ce chantre illustre
Bensérade, homme du balustre,
Qu'il passe tout ce qu'on a vu,
De plus grand, de mieux entendu,
De plus galant, plus magnifique,
De plus mignon, plus héroïque,
Pour divertir, en ce temps-ci,
Où l'on met à part tout souci,
La cour du plus grand roi du monde.
Il y paraît le dieu de l'onde,
Et le dieu de Mont Parnassus,
Avec tant d'éclat que rien plus,
Qui fait que tout chacun admire,
Ce redoutable et charmant sire,
Qui, sans contrefaire ces dieux,
Est, par ma foi, bien plus dieu qu'eux.
Ailleurs, je reprendrai carrière
Sur cette pompeuse matière,
Qu'ici je ne fais qu'effleurer,
Faute de place pour narrer
Ce spectacle, presque céleste.


[22 février]

Lundi, veille de Mardi gras,
Jour de crapule, et grand repas,
De bacchanales, et d'orgies,
De bals, ballets, et momeries,
Le Divertissement Royal
Fut, encor, le digne régal
De notre belle cour française :
Et j'ai su de gens plus de seize,
Que ce spectacle si brillant,
Si beau, si pompeux, si galant,
Etait fourmillant de merveilles,
Par qui les yeux, et les oreilles
Etaient charmés également,
Et surpris à chaque moment.
Les fréquents changements de scène,
D'une façon tout soudaine,
En maints et maints objets divers,
Y découvraient, d'abord, des mers
Dont si vaste était l'étendue,
Qu'elle était à perte de vue :
Et des Amours, et des Tritons,
Y patinaient les frais tétons
Des Néréides, et Sirènes,
Déesses des humides plaines.
D'autre part, les hautains rochers
Lesquels sont l'effroi des nochers,
Y montraient leurs têtes chenues,
Les proches voisines des nues :
Et le roi des vents, AEolus,
Qui préside au flux, et reflux,
Y paraissait sur un nuage,
Faisant rentrer, dedans leur cage,
Ces ennemis des matelots,
En faveur du grand dieu des flots,
Qui désignait là notre Sire,
Non moins puissant sur son empire,
Nonobstant certains envieux,
Qu'il l'est sur la terre, en tous lieux.
Par lesdits changements, encore,
On voyait, à l'instant, éclore
Des paysages verdoyants,
Des berceaux de vigne, attrayants,
Soutenus par mainte statue,
Tout de même, à perte de vue,
De riches vases d'orangers,
De citronniers, de grenadiers,
D'où sortaient faunes, et dryades,
Tout ainsi que de leurs estrades.
Item, des grottes, des forêts,
Des jardins qui faisaient florès,
Des labyrinthes, des dédales,
Des amphithéâtres, des salles,
Qui se plantaient, se bâtissaient,
Et, se succédant, paraissaient
Plus vite que, perçant la nue,
Un éclair ne frappe la vue.
Sur ces théâtres si divers,
Parmi les airs, et les concerts,
Il se fit quantité d'entrées
Qui furent toutes admirées :
Dans lesquelles, outre AEolus,
Et le dieu marin, Neptunus,
Parut le patron du Parnasse,
Qui, dans notre Roi, se retrace,
Ainsi qu'en son grand lieutenant,
Bien plus adoré maintenant,
Par les Muses, qu'Apollon même,
Tant, certes, sa gloire est extrême.
Or, parmi ce ballet charmant,
Se jouait, encor, galamment,
Petite, et grande comédie,
Dont l'une était en mélodie ;
Toutes deux ayant pour auteur,
Le comique et célèbre acteur,
Appelé Baptiste Molière,
Dont la Muse est si singulière :
Et qui le livre a composé,
Demi-rimé, demi-prosé,
Qu'à l'illustre de Bensérade,
Près d'Apollon, dans un haut grade,
J'ai, bonnement, attribué,
Sur ce que ce grand gradué,
Fait ces livres-là, d'ordinaire,
Etant du Roi pensionnaire.
Il approuvera, je crois, bien,
Qu'en véridique historien,
La chose, comme elle est, je die,
En chantant la palinodie ;
Et puis, j'ai maint et maint témoin,
Qu'il n'a, vraiment, aucun besoin
Que les autres l'on appauvrisse,
Afin du leur qu'on l'enrichisse.
Je finis ce chapitre-ci,
Ajoutant, justement, aussi,
Que cet admirable génie [Le Sr Vigarani]
Que nous a fourni l'Italie,
Pour travailler, en bel arroi,
A ces grands spectacles de roi,
Avait de ses savantes veilles,
Tirés les charmantes merveilles
Qui ravissaient en ce dernier,
Dont il mérite un beau loyer.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


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