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1670

Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Chénault, 1670.

Création des Amours de Vénus et d’Adonis

Dans sa lettre du 8 mars 1670, Robinet relate la création des Amours de Vénus et d’Adonis de Jean Donneau de Visé :

Adon, pourvu de tant d'appas, [Adonis.]
Qui reçut, jadis, le trépas,
Dans l'eudalien bocage,
Par un sanglier plein de rage,
Et qui fut changé dans la fleur
Qui, de son sang, a la couleur,
A savoir, ainsi qu'on le prône,
En la belle fleur d'Anémone,
Revit, et puis meurt de nouveau,
Fort loin de son premier tombeau,
Près les rivages de la Seine,
Sur une magnifique scène.
C'est sur la scène du Marais,
Où dimanche je fus exprès,
Pour voir cette pompe funèbre,
Fort solennelle, et fort célèbre.
Dame Vénus qui le charma,
Et qui, si tendrement, l'aima,
S'y fond, quoiqu'elle soit déesse,
En larmes pleines de tendresse.
Une Nymphe qui l'adorait,
Sans que, sur sa flamme, il fit droit,
Et qui, pour tirer la vengeance
D'une si vergogneuse offense,
Avait excité le dieu Mars,
A faire périr ce beau gars,
S'y transperse, après, la poitrine,
Avec la propre javeline,
De ce trop aimable chasseur,
Tant par amour, que par fureur.
Enfin, le démon des batailles,
Qui n'aime que les funérailles,
Fait paraître sa joie ici,
D'avoir pu causer celles-ci,
Par le sanglier dont sa rage
Avait animé le courage,
Pour perdre ledit bel Adon,
Qui de la mère à Cupidon
Lui ravissait les bonnes grâces.
Par un prologue des trois Grâces,
Avec l'Amour, enfant si beau,
Qui vole là, comme un oiseau,
On donne au sujet ouverture,
Où, certes, jusqu'à la clôture,
On oit, et voit des nouveautés
Par qui les sens sont enchantés.
Les deux belles soeurs Des Urlis,
L'une et l'autre assez accomplies,
Et Mad'moiselle Loisillon,
Ayant fort la gorge selon
Qu'une gorge belle me semble,
Y font ces trois Grâces ensemble.
La pouponne de Champmeslé,
Par qui l'on est tout stimulé,
C'est-à-dire ému, représente
D'une manière très galante,
Et qui charme tant que rien plus,
La belle Déesse Vénus ;
Et, dans ce rôle, cette actrice,
Est une parfaite enchantrice.
Mad'moiselle Marotte, aussi,
Y fait, non pas couçi couçi,
Mais d'une façon sans égale,
La Nymphe, de Vénus rivale.
Le Sieur Des Urlis est Adon ;
Et de tant de geste que de ton,
S'acquitte, dessus ma parole,
Pareillement, bien, de ce rôle.
De Champmeslé, quoiqu'il n'ait pas
L'air affreux du dieu des combats,
Et qu'il pût, avec avantage,
Jouer un plus doux personnage,
Y soutient, toutefois, des mieux,
Son caractère furieux.
Rosimond y dépeint Mercure,
Qui sert Mars, en cette aventure.
De Verneuil, sur un triste ton,
Raconte le trépas d'Adon.
Et La Roque Jupin désigne,
De Vénus flatte les douleurs,
Mettant Adon au rang des fleurs.
Au reste, on peut, illec, entendre
Les vers du style le plus tendre,
Et, pour de tout vous informer,
Quiconque ne veut pas aimer,
Ne doit point voir ce beau spectacle,
Car ce serait presque un miracle,
D'en ouïr les charmants dictons,
Sans de douces convulsions.
Il faudrait fermer les oreilles,
Pour voir, seulement, les merveilles
Et des machines, et des vols
Où les dieux font leur caracols,
Et, dans lesquels le machiniste,
Paraît, vraiment, un grand artiste.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


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