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1673

Jean Donneau de Visé, Le Mercure galant

Paris, Barbin, 1673.

De l'opéra et de la comédie

Dans le tome III du Mercure galant, un discours sur l'opéra implique de parler de sa concurrence avec la comédie, ainsi que des machines du marquis de Sourdéac pour la Toison d'or de Corneille.

Après quelques nouvelles de guerre qui n’étaient pas considérables, la conversation tourna sur l’opéra :

–  Ne parlez point des opéras, dit alors un ennemi déclaré de la musique, on s’ennuie d’entendre toujours chanter et je ne trouve rien de plus fatiguant.
– On disait cela, repartit un autre, avant que Monsieur le marquis de Sourdéac et Messieurs ses associés eussent fait représenter les deux opéras qu’ils ont donnés au public, mais le succès a fait voir le contraire.
– Je le crois bien, repartit un troisième, mais les inimitables machines de Monsieur le marquis de Sourdéac, qui a fait autrefois La Toison d’or pour son divertissement, s’y faisaient admirer. Et comme elles étaient exécutées avec toute la justesse imaginable et que M. de Beauchamp, qui fait les ballets du roi depuis vingt-et-un ans et qui a eu l’honneur d’être choisi autrefois pour montrer à danser à Sa Majesté comme un des plus illustres de son temps, avait travaillé pour l’opéra, on ne doit point s’étonner de son succès, qui n’est pas dû à la musique, puisqu’elle n’en faisait que la moindre partie.
– Les choses n’iront pas de même à l’avenir, reprit un quatrième, et la musique sera le plus bel ornement des pièces qui seront représentées dans l’Académie de Monsieur de Lully. Qu'importe de machines, continua-t-il, de ballets et même de belles comédies, puisque, lorsque la musique est dans sa perfection, elle tient lieu de tout cela. Six chansons composées par ce grand génie feront courir tout Paris.
– Cela arriverait, lui repartis-je, si chacun aimait autant la musique que vous, mais tout le monde n’est pas de votre goût. On aime beaucoup la comédie en France, l’esprit en demande quand les oreilles sont satisfaites, et nous avons souvent vu que, dans les grands divertissements, on prêtait plus d’attention à la comédie qu’à la musique. Ce n’est pas que la musique ne plaise et qu’on ne l’écoute d’abord, mais elle ennuie dès qu’elle dure trop longtemps, quand même elle serait bonne, et la comédie n’ennuie jamais à moins qu’elle ne soit méchante.
– Vous n’auriez pas été fatigué du troisième opéra de Monsieur le marquis de Sourdéac, reprit celui qui prenait son parti. Il se préparait à faire quelque chose de si beau, de si nouveau et de si surprenant pour les machines, qu’on le fût venu admirer des quatre coins du monde. Il n’en avait presque pas mis dans les deux premières pièces qu’il avait données au public, et n’avait fait que préparer son théâtre pour la troisième. On n’y aurait point vu de ces changements de théâtre, de ces chars ordinaires et de ces vols qui font que toutes les machines se ressemblent, et…
– Mais pourquoi, lui repartirent plusieurs, ne l’a-t-on pas laissé continuer, puisqu’il a établi l’opéra avec tant de dépense, qu’il préparait de si belles choses et que, sans lui et ses associés, on ne se serait point avisé d’en faire en France ?
– Vous avez trop de curiosité, leur répondit le nouvelliste mystérieux, à demi en colère. On ne doit jamais pénétrer dans les secrets des rois et l’on doit toujours croire qu’ils ont raison.
– Je crois, reprit un autre, que Monsieur de Lully n’a eu son privilège qu’afin qu’il pût, par le moyen de son académie, former des musiciens pour le roi qui fussent capables de remplir les places qui vaqueraient dans la musique de Sa Majesté. 

Nous trouvâmes cette pensée de bon sens, et nous fîmes ensuite la guerre à l’un de nos confrères qui n’avait pas dit un mot pendant notre conversation de l’opéra.

– Je n’ai pas laissé de faire réflexion sur ce que vous nous avez dit touchant la musique, nous répondit-il, et j’ai beaucoup de choses à dire à son avantage pour faire voir que ceux qui la condamnent n’en connaissent pas le mérite.

Nous lui dîmes que nous étions prêts de lui donner audience. Il nous remercia et commença aussitôt de la sorte.

Texte disponible sur la plateforme OBVIL.

Le Mercure galant, t. III, 1673 [juillet-août 1672], p. 337-354.


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