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1673

Jean Donneau de Visé, Le Mercure galant

Paris, Barbin, 1674.

Création de Démarate et préoccupation

Le sixième tome du Mercure galant prend position en faveur du Démarate de Claude Boyer, en expliquant l'insuccès de la pièce par le climat malsain qui régnerait dans le monde du théâtre, qui loue automatiquement les grands auteurs, quelle que soit la qualité de leurs ouvrages, en les faisant bénéficier de l'effet de « préoccupation ».

Puisque nous sommes sur le chapitre des beaux esprits, je ne saurais trouver d’endroit plus propre à parler de Démarate, que l’on vient de jouer à l’Hôtel de Bourgogne. Cette pièce est de Monsieur Boyer et, quoiqu’elle ait quantité de beautés, elle n’a pas eu tout le succès qu’elle méritait. Vous en devinerez aisément la cause quand vous aurez lu la petite histoire que je vais vous apprendre, si toutefois vous ne la savez pas, l’Antiquité vous étant parfaitement connue. Plutarque remarque qu’un de ces bateleurs de l’Antiquité, que le vulgaire confond mal à propos avec les comédiens et qui s’appelait Parménon, ayant appris à contrefaire le cri d’un pourceau, le peuple y prit un merveilleux plaisir, de sorte que ses compagnons qui voyaient que cette sottise lui attirait toute la libéralité des auditeurs, se mirent tous à imiter la belle voix de cet animal. Mais quelque soin qu’ils apportassent à cette étude ridicule, le peuple cria toujours que ce n’était pas Parménon. Un de ces gens piqués de la gloire et du profit de l’autre, jugeant qu’il y avait de la préoccupation en cela, porta un jour un cochon en vie caché sous sa robe et le fit crier devant le peuple, qui dit encore que ce n’était pas Parménon et lors laissa courir cet animal parmi la place, il leur fit voir que l’opinion est un mauvais juge, puisqu’elle leur avait fait croire un homme plus pourceau qu’un pourceau même.

Je crois, Madame, que vous voyez bien que cette histoire veut dire qu’il faudrait que Monsieur Boyer, pour faire réussir ses ouvrages, prît le nom d’un de ces auteurs heureux, en faveur desquels on est si préoccupé qu’on ne croit pas qu’ils puissent jamais mal faire. Cette préoccupation qu’on a pour eux, fait qu’on en a une toute contraire à l’égard des autres auteurs et que l’on condamne leurs plus beaux ouvrages sans les avoir été voir, au lieu que l’on dit souvent du bien des ouvrages des autres, avant qu’ils aient fait le premier vers de leur pièce et quelquefois même avant qu’ils en aient trouvé le sujet.

Texte disponible sur la plateforme OBVIL.

Le Mercure galant, 1673, t. VI, p. 202-206.


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