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1677

Jean Donneau de Visé, Le Nouveau Mercure galant

Paris, Ribou, 1677.

Fête galante inspirée de l'Inconnu

À Montpellier, le mariage de Monsieur de la Quere avec Madame de la Vérune donne lieu à une fête galante que le Mercure galant présente comme inspirée par L'Inconnu de Donneau de Visé et Thomas Corneille.

Je ne doute point, Madame, que vous ne joigniez vos applaudissements à ceux que l’auteur de ce compliment a reçus. Et pour passer d’Arles à Montpellier, je vous dirai qu’on y parle fort du mariage de Mademoiselle de la Vérune avec Monsieur de la Quere Capitaine des Vaisseaux. C’est une héritière qu’on tient riche d’un million. Cela est considérable. Mais ce qui est beaucoup plus avantageux pour elle, c’est que la fortune, toute grande qu’elle est, paraît encore au-dessous de son mérite. M. de la Quere lui a donné plusieurs fêtes. Elles ont toutes été d’une galanterie admirable, mais surtout la dernière vous fera voir que L’Inconnu, que vous avez tant aimé sur le théâtre et que vous nommiez si plaisamment L’Amant qui ne se trouve point ailleurs, n’a pas donné un exemple d’une si dangereuse conséquence qu’il n’y ait des gens qui fassent gloire de l’imiter. Il ne faut qu’aimer pour cela et voici de quelle manière M. de la Quere s’y est pris.
Mademoiselle de la Vérune s’était allée promener un peu tard, avec quelques-unes de ses amies et de ses parentes, dans un jardin où il y a un petit pavillon et quatre cabinets de verdure aux quatre coins. Elles furent fort surprises de trouver, dans le premier où elles entrèrent, une table à dix-huit couverts. La magnificence y fut grande et la propreté merveilleuse. Il y eut huit services différents et il n’y manqua rien de tout ce qu’on se peut figurer de plus exquis et de plus délicat pour le goût. Aucune d’elles ne s’attendait à ce souper et moins encore à être divertie par un concert admirable de hautbois qui étaient dans un autre cabinet. À ces hautbois succédèrent les violons qu’on avait mis dans le troisième et ils n’eurent pas plus tôt cessé de jouer qu’une excellente musique se fit entendre du dernier de ces cabinets. Le souper étant fini, la table fut couverte de bouquets de fleurs de toutes les saisons et de rubans de toutes sortes. Un moment après, on proposa de s’aller reposer dans des chaises de commodité qui étaient dans le pavillon et ce fut de nouveau un agréable sujet de surprise pour ces aimables personnes de voir tout le jardin éclairé de mille bougies qu’on avait attachées aux branches des arbres et dont la lumière leur fit découvrir les apprêts d’un très beau feu d’artifice qui dura plus de demi-heure. Il fut suivi d’un nombre infini de fusées volantes qui faisaient voir en l’air, de cent différentes manières, le nom et les chiffres de Mademoiselle de la Vérune. Ce divertissement qui les occupa quelque temps ayant cessé, elles continuèrent de marcher vers le pavillon et furent à peine assises dans le vestibule qu’elles virent sortir du derrière de la tapisserie des acteurs qui leur donnèrent la comédie. Ce fut par elle que cette galante fête se termina : elle ne finit qu’avec la nuit et cette belle troupe n’eut pas lieu de regretter les heures que tant de plaisirs lui firent dérober au sommeil.

Texte disponible sur la plateforme OBVIL.

Le Nouveau Mercure galant, août 1677 (tome VI), p. 127-133.


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