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1684

Pierre Bayle, Nouvelles de la République des lettres

Amsterdam, Desbordes, 1684.

Parution d'Arlequin procureur

Parmi les très rares recensions de pièces de théâtre dans les Nouvelles de la république des lettres se trouve un article consacré à Arlequin Procureur, ce qui s'explique probablement par un manque d'autres contenus pour lancer ce premier numéro. Bayle en profite pour mener une réflexion sur les vertus morales de la comédie.

Arlequin procureur. A Paris, chez C. Blageart rue S. Jacques 1683.

C’est une comédie qui a eu beaucoup de succès et où les comédiens italiens ont représenté admirablement les friponneries qui se commettent dans la profession de procureur. On prétend que l’utilité de cette pièce sera très grande parce qu’elle accoutumera le monde à se mieux précautionner contre ces friponneries et parce qu’elle corrigera de leurs mauvaises habitudes les procureurs malhonnêtes gens, rien n’étant plus propre, dit-on, à guérir les maladies de l’âme, qu’une comédie qui en représente si finement le ridicule. Il y a longtemps qu’on en juge ainsi, car c’est dans cette vue que les Athéniens accordèrent aux poètes comiques la licence de satiriser tout le monde, sans épargner même le gouvernement ; et l’on trouve qu’à cause de la liberté qu’ils se donnaient de médire de toute la terre, on leur donna l’éloge de Conservateurs des villes σωληων των πολεων. Quantité de personnes disent fort sérieusement à Paris que Molière a plus corrigé de défauts à la cour et à la ville lui seul que tous les prédicateurs ensemble et je crois qu’on ne se trompe pas, pourvu qu’on ne parle que de certaines qualités qui ne sont pas tant un crime qu’un faux goût ou qu’un sot entêtement comme vous diriez l’humeur des prudes, des précieuses, de ceux qui outrent les modes, qui s’érigent en marquis, qui parlent incessamment de leur noblesse, qui ont toujours quelque poésie de leur façon à montrer aux gens, etc… Voilà les désordres dont les comédies de Molière ont un peu arrêté le cours. C’est à peu près à quoi se réduit la réformation qu’un Jésuite leur attribue, car pour la galanterie criminelle, l’envie, la fourberie, l’avarice, la vanité et tels autres crimes, je ne crois pas qu’elles leur aient fait beaucoup de mal et on peut même assurer qu’il n’y a rien de plus propre à inspirer la coquetterie que ces pièces parce qu’on y tourne perpétuellement en ridicule les soins que les pères et les mères prennent de s’opposer aux engagements amoureux de leurs enfants. Il faut avouer néanmoins que celles qui jouent les professions, à l’exemple d’Arlequin procureur, peuvent être fort utiles.

On écrit de Paris que la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, qui est celle des comédiens italiens, représente une comédie très divertissante et qui attire une foule extraordinaire. Elle s’intitule Arlequin Empereur dans le Monde de la Lune. C’est, dit-on, une satire de l’opéra d’Amadis, et on ajoute qu’on doit représenter incessamment dans le même hôtel Amadis Cuisinier, parce que celui qui fait le personnage d’Amadis dans l’opéra a été cuisinier. Ces nouvelles ne sont pas trop apparentes, car comme on sait que le roi lui-même a donné le sujet de l’opéra d’Amadis, qui oserait en faire des railleries si publiques ? On travaille à un nouvel opéra dont Roland le furieux fera le sujet et c’est encore le roi qui a choisi et marqué cette matière à M. Quinault et à M. Lully. Ce monarque n’a point voulu que l’opéra d’Amadis fût représenté à la cour à cause du deuil de la reine. On loue fort les paroles, les machines et les airs de cet opéra.

Périodique disponible sur Google Books, p. 203-205.


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