1668

François d' Avre, Dipne

Montargis, J.-B. Bottier, 1668

Défense de l'eutrapélie

De manière originale, cette préface qui s'inscrit dans les questionnements propres à la querelle sur la moralité du théâtre utilise les réactions du public (applaudissements, rires, pleurs) à des fins argumentatives.

Il serait souhaitable que les poètes du temps, si curieux de travailler avec tant d'étude et de soin pour éviter un car et quelque menue dissonance, relevassent les yeux et dressassent ces beaux feux à leur centre, pour les tirer à une fin plus haute ; et véritablement les battements de mains et applaudissements populaires sont de trop petites récompenses d'un travail si pénible et si considérable. Si ces prétentions ne servaient que de borne à leur ambition, leurs actions seraient étroitement logées : cette vaine fumée d'apparence d'honneur est trop légère et passagère, pour servir de couronne à leurs mérites, et de terme solide à des actions qui devraient aspirer à l'immortalité. Si par l'exactitude rapportée à polir et rechercher l'entier achèvement de leurs ouvrages, ils présument avec cet ancien peintre d'avoir peint pour l'éternité, ils sont bien hors de compte : leurs peintures ne sont que pour le temps, et pour le temps bien court et bientôt périssable, s'ils ne travaillent pour une fin plus haute et plus étendue, en laquelle ils ont moyen de concourir avec Dieu même, pour la fin qu'il a eue dans ses œuvres, qui est sa propre gloire. Enfin j'exclus de mon théâtre les profanes, les païens et les étrangers de la foi, curieux de se paître de fables et de mensonges, obstinés à leur perte par l'attache du pur libertinage, et du seul délectable Le théâtre à la mode les chatouillera mieux à leur gré, puisqu'ils n'ont envie que de rire dans le temps, à peine de pleurer dans l'éternité. Je veux bien divertir, et suis content que mes auditeurs rient et se récréent, moyennant que leurs cœurs ne s'ouvrent et ne tendent que du côté du Ciel : qu'ils dansent d'allégresse, moyennant que leurs sauts les portent en avant, sans démarcher ou faire des faux pas ; à quoi je convie les vierges, les enfants, les vrais chrétiens, les âmes pures, les cœurs religieux, capables des délices du Ciel et des avant-goûts du Paradis.

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