Georges d’Autriche (1505-1557), comme Nicolas Perrenot pour le globe terrestre, est un grand personnage de son temps. Fils naturel de l’empereur Maximilien Ier, il commence une carrière ecclésiastique en 1525 comme évêque de Brixen. Il doit sa position de prince-évêque de Liège, à laquelle il accède en 1541, à l’empereur Charles Quint, qui souhaite placer un homme dévoué à cette place stratégique.
Du point de vue de la représentation et de la nomenclature des constellations, le globe céleste de Gérard Mercator est le plus complet du XVIe siècle. Mercator utilise entre autre des figures transmises par la tradition littéraire inspirée de sources grecques. Il s’affiche ainsi parfois moins en astronome qu’en homme de la Renaissance en exerçant son sens critique dans la sélection de ses sources.
Chaque constellation est répertoriée sous son nom latin et grec, avec en complément la translittération de son nom arabe ou ce qui passait pour telle au XVIe siècle. Mercator doit avoir consulté plusieurs sources pour sa nomenclature et il semble avoir procédé de manière encyclopédique. Son érudition en matière d’étoiles est livresque, il n’est pas question d’observation astronomique.
Le groupe des Pléiades est connu depuis l’Antiquité. Certaines étoiles de cette constellation sont perceptibles à l’œil nu. Le catalogue stellaire de Ptolémée et ceux qui en dérivent, en décrit seulement quatre. Le globe de Mercator en présente sept.
La sphère céleste de Mercator est cerclée par un méridien de laiton coiffé au pôle d’un cadran horaire (absent de l’exemplaire lausannois) et par un anneau d’horizon qui indiquent les principales fêtes religieuse et leurs dates ainsi que les douze signes du Zodiaque et permet des pronostics astrologiques.
La sphère est composée de 12 fuseaux limités à 70° de latitude nord et sud et chaque région polaire est complétée d’une calotte circulaire. Les fuseaux célestes sont alignés selon les coordonnées équatoriales plutôt que les coordonnées de l’écliptique ; ils se rencontrent aux pôles célestes qui coïncident avec l’axe de support de la sphère.
Une grande partie de la zone autour du pôle Sud est vierge, Ce n’est pas étonnant, puisque cette zone n’était pas perceptible sous les latitudes européennes. Les étoiles dont la déclinaison est supérieure à 66°30’, en valeur absolue, font ainsi défaut. Les constellations sont nommées en latin et en grec, avec leur translittération arabe.
Le globe fabriqué par Mercator indique une correction précessionnelle de 20°55’, ce qui est conforme à la théorie de Nicolas Copernic. L’équateur et l’écliptique sont gradués et leurs degrés y sont numérotés de dix en dix. Le premier méridien passe tout près de la queue des Poissons qui est figuré au-dessous de l’aile de Pégase.
L’anneau d’horizon, ou horizon rationnel, est divisé dans le sens de sa largeur, en deux moitiés :
Les formes et les dimensions relatives des étoiles fixes de six grandeurs différentes ainsi que les nébuleuses sont marquées. Mercator en donne les modèles vers le sommet de la sphère au-dessus de la constellation des Gémeaux.
Indépendamment de la voie lactée et d’un grand nombre d’étoiles non rattachées à des groupes symboliques, Mercator représente presque l’ensemble des 1022 étoiles ptolémaïques (on dénombre 934 étoiles selon J. van Raemdonck), agencées entre 51 constellations au lieu des 48 constellations courantes depuis l’Antiquité. Il représente ainsi en plus :
Mercator s’écarte à plusieurs reprises de son maître Gemma Frisius. Pour les experts, telle Elly Dekker (1994), il semblerait qu’il a tenté de concilier les opinions de Claude Ptolémée et celles de Nicolas Copernic.
Par exemple, la constellation de la Lyre était, au XVIe siècle, traditionnellement représentée par un oiseau, ou par la combinaison d’un oiseau et d’une sorte de viole. Ces images découlent de l’influence arabe dans la diffusion de l’Almageste. Par soucis d’exactitude, Mercator y substitue le Vultur cadens, un instrument de musique d’origine grecque inconnu du monde arabe. L’Almageste, dans sa version grecque, décrit effectivement la Lyre comme composée d’une « carapace » (c’est une carapace de tortue, qui avait été utilisée par Hermès pour fabriquer la toute première lyre), de cornes et d’une traverse.
Quelques figures humaines apparaissent vêtues à la romaine alors qu’elles sont nues sur le globe de Frisius.
Les aspirations cartographiques de Mercator apparaissent également à la lecture de la considérable nomenclature des constellations et des étoiles individuelles. Les constellations sont identifiées sous leurs noms latin et grec, avec la translittération en arabe ou ce qui passait pour telle. Ce travail témoigne de l’érudition de l’auteur. Le globe céleste est, de ce point de vue, le plus complet du XVIe siècle. Quelques ajouts de Mercator :
L’influence copernicienne apparaît dans la précession des équinoxes, le changement graduel de l’axe de rotation. Mercator applique la nouvelle vision de Nicolas Copernic dans le calcul des positions stellaires qui, d’après la théorie copernicienne, se réfèrent à l’année 1550.
Le calcul correctif de la précession des équinoxes est le plus gros problème astronomique à résoudre pour un utilisateur des positions stellaires ptoléméennes. Un catalogue d’étoiles, qui détermine les coordonnées selon un système de référence en lente évolution, donne toujours les positions pour un moment donné, appelé époque. Pour calculer les positions des étoiles à des époques ultérieures sur la base des catalogues existants, on augmente les longitudes écliptiques des étoiles d’une valeur constante. Celle-ci était déterminée à l’aide de la théorie courante de la précession.
Au XVIe siècle, plusieurs théories précessionnelles coexistent ; les valeurs de correction de la précession, c’est-à-dire l’augmentation de la longitude par rapport à celle de l’époque de Ptolémée pouvaient varier énormément.
Dans ce domaine, Mercator s’écarte à nouveau de son maître Gemma Frisius. En comparant les deux globes, on constate, par exemple, une différence dans la longitude de l’étoile Regulus. La correction précessionnelle du globe de Frisius (1537) s’avère de 19°40’, alors que celle de Mercator (1551) est de 20°55’. Selon les normes modernes, une différence de 1°15’ signifierait une différence d’époque de presque 90 ans. Cela contraste avec les 14 ans qui séparent réellement les deux globes. Car, il faut noter que les concepteurs de globes célestes choisissent toujours pour leur réalisation une époque proche de leur date de fabrication.
]]>Des variantes apparaissent entre le globe de Gemma Frisius (1537) et celui de Mercator (1551), par exemple dans la représentation du Bélier ou des Gémeaux. Cela porte à croire que Mercator a puisé dans des sources différentes pour positionner les étoiles. Comme son globe est ultérieur, c’est sans doute qu’il a jugé celles-ci plus pertinentes.
]]>Durant des siècles, les positions des étoiles sont empruntées au catalogue d’étoiles de l’Almageste de Claude Ptolémée et il faut attendre la fin du XVIe siècle, et les nouvelles observations de Tycho Brahe (1540-1601), pour que celles-ci deviennent plus précises.
Au XVIe siècle, les savants tels Gemma Frisius ou Gérard Mercator, son élève, ont accès à des catalogues d’étoiles qui possèdent tous un point commun : les positions y sont décrites dans un système de coordonnées dont le plan fondamental est l’écliptique. Sur un globe céleste, tel celui de Frisius en 1537, les méridiens sont en général tirés du pôle écliptique Nord au pôle écliptique Sud, et non comme c’est le cas pour un globe terrestre, du pôle équatorial Nord au pôle équatorial Sud.
Le globe céleste de Mercator est par contre un des rares exemples qui s’écarte de l’usage de l’époque pour déployer un système de coordonnées équatoriales, le distinguant des autres constructeurs de globes célestes de son temps. Il s’agit d’une démarche qui est loin d’être évidente pour près de mille étoiles et les experts supposent que Mercator devait disposer d’une méthode efficace de conversion des coordonnées, portant à croire qu’il a utilisé un astrolabe universel.
Certains historiens considèrent, à la suite de Fiorini (1899) ou de Stevenson (1921), que Mercator n’avait pas le même talent en astronomie qu’en géographie, même si son globe céleste reste un travail scientifique remarquable. Cependant des études plus récentes, plus particulièrement celles d’Elly Dekker, montrent que la spère céleste de Mercator offre de sérieuses améliorations par rapport à celles qui l’ont précédée, principalement celle de Gemma Frisius.
Les informations astrologiques fournies par le globe céleste découlent de sources traduites qui lui sont contemporaines. Mercator utilise par exemple le De supplemento, un almanach de Girolamo Cardano, dont la première édition à Milan date de 1538 et qui sera réimprimé à Nuremberg en 1543.
Mercator connaît également le Tetrabiblos de Claude Ptolémée, une étude mathématique en quatre livres, traduite et éditée par Joachim Camerarius à Nuremberg en 1535. Comme tous ses contemporains, Mercator pratique également l’astrologie et en fait la promotion à travers la production de son globe céleste.
A côté de l’information à jour que Mercator présente sur la nature des étoiles, les positions de celles-ci sont fixées selon la toute nouvelle théorie de la précession des équinoxes publiée par Nicolas Copernic en 1543 dans son De revolutionibus orbium coelestium, livre posant les bases de l’héliocentrisme. Mercator est ainsi le premier fabriquant de globes à utiliser cette théorie.
Nicolas Perrenot est un personnage très important de son temps car il fut chancelier à la cour de Charles Quint et même proche conseiller de l’empereur. En 1541, il occupe depuis neuf années la fonction de garde des sceaux. Cette dédicace est surmontée des armes du seigneur de Granvelle et de la devise « Sic visum superis » (Ainsi tu verras le monde par en haut).
Voici les noms de quelques célèbres cités d’Europe, que l’étroitesse de l’objet empêchait d’indiquer en dessous de leur emplacement.
Scotiae (Ecosse)
6 Edinburgum regia (Edimbourg)
7 Catnes
Hyberniae (Irlande)
1 Unflor
2 Solli
3 Dondal (Dundalk)
4 Dubelyn (Dublin)
5 Wacfort (Wateford)
6 Lamerich (Limerick)
7 Galuei (Galway)
Galliae (Gaule)
1 Monspessulanus (Montpellier)
2 Tullium (Toul)
3 Roari (Rouen)
4 Verodunum (Verdun)
5 Sedunum (Sion)
6 Basilea (Bâle)
7 Colonia Agrippina (Cologne)
8 Gandanum (Gand)
9 Amsterodamum (Amsterdam)
Greciae (Grèce)
1 Messena (Messine)
2 Corinthus (Corinthe)
3 Athenae (Athènes)
4 Ambracia nunc Narta (Ambracie maintenant Narte)
5 Thessalonica (Thessalonique)
6 Philippipolis
7 Adrianopolis (Edirne)
Les îles d’Albion et d’Hybernia communément appelées Iles Britanniques
Mangi la plus noble des provinces, qui contient 9 royaumes et 1200 cités, a été vaincue par l’Empereur des Tartares, Kubilai, en 1268. M. Paulus Venetus dit, livre 3 chapitre 8, qu’entre Mangi et l’île de Cipango les marins auraient compté 7448 îles.M. Paulus Venetus atteste que des îles se trouvent quelque part ici, parmi lesquelles apparaît, à certaines périodes de l’année, le Rokh, un oiseau de si grande taille qu’il soulèverait un éléphant dans les airs.
Dans le domaine de la cartographie, les illustrations de monstres marins ou d’autres créatures exotiques semblent relever de plusieurs objectifs complémentaires ; pour le cartographe, il s’agit :
Pour les historiens, trois représentations de monstres marins sont prééminentes dans la cartographie de la Renaissance : la Carta Marina d’Olaus Magnus (1539), la carte Monstra Marina & Terrestria (1544) de Sebastian Münster, inspirée en partie d’Olaus Magnus, et la carte Islandia d’Abraham Ortelius parue dans les éditions du Theatrum Orbis Terrarum (1586) et inspirée des deux précédentes réalisations.
Gérard Mercator est particulièrement influencé par la Carta marina d’Olaus Magnus. Celle-ci contient la collection de monstres marins la plus vaste, la plus variée et la plus complète de son époque.
Le globe terrestre de Mercator est illustré de onze monstres marins dont sept sont tirées de la Carta marina d’Olaus Magnus, deux autres dérivent de l’ouvrage Historia general de las Indias de Gonzalo Fernandez de Oviedo (1535), un livre qui représente les toutes premières images d’animaux d’Amérique. Mercator a sans doute utilisé à la fois Magnus et Oviedo pour démontrer sa capacité à synthétiser les sources les plus récente. Aux monstres marins, il ajoute un seul et unique animal terrestre.
Au travers des monstres de la cartographie, on peut faire une visite détaillée des sources et inspirations de Mercator pour la réalisation de ses douze monstres marins et terrestres.