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1669

[Anonyme], Lettre satirique sur le Tartuffe écrite à l'auteur de la critique

Paris : Quinet, 1670.

Critique vue de la salle

Cette lettre satirique, publiée en exergue d'une petite comédie anonyme intitulée « La Critique du Tartuffe », aborde la pièce de Molière en se plaçant du point de vue du spectateur :

J'ai su, cher Dorilas, la galante manière
Dont tu veux critiquer et Tartuffe et Molière,
Et sans t'importuner d'inutiles propos,
J'en vais rimer aussi la critique en deux mots.
Dès le commencement, une vieille bigote,
Querelle les acteurs, et sans cesse radote,
Crie, et n'écoute rien, se tourmente sans fruit ;
Ensuite une servante y fait autant de bruit,
À son maudit caquet donne libre carrière,
Réprimande son maître, et lui rompt en visière,
L'étourdit, l'interrompt, parle sans se lasser ;
Un bon coup suffirait, pour la faire cesser,
Mais on s'aperçoit bien, que son maître par feinte,
Attend pour la frapper qu'elle soit hors d'atteinte.
Surtout, peut-on souffrir l'homme aux réalités,
Qui, pour se faire aimer, dit cent impiétés.
Débaucher une femme, et coucher avec elle,
Chez ce galant bigot, c'est une bagatelle.
À l'entendre, le Ciel permet tous les plaisirs,
Il en sait disposer, au gré de ses désirs,
Et quoi qu'il puisse faire, il se le rend traitable.
Pendant ces beaux discours, Orgon sous une table,
Incrédule toujours, pour être convaincu,
Semble attendre en repos qu'on le fasse cocu.
Il se détrompe enfin et comprend sa disgrâce,
Déteste le Tartuffe, et pour jamais le chasse.
Après que l'imposteur a fait voir son courroux,
Après qu'on a juré de le rouer de coups,
Et d'autres incidents de cette même espèce,
Le cinquième acte vient, il faut finir la pièce ;
Molière la finit, et nous fait avouer
Qu'il en tranche le noeud, qu'il n'a su dénouer.
Molière plait assez, son génie est folâtre,
Il a quelque talent pour le jeu du théâtre,
Et pour en bien parler, c'est un bouffon plaisant
Qui divertit le monde en le contrefaisant ;
Ses grimaces souvent causent quelques surprises,
Toutes ses pièces sont d'agréables sottises,
Il est mauvais poète et bon comédien,
Il fait rire, et de vrai, c'est tout ce qu'il fait bien.
Molière à son bonheur doit tous ses avantages,
C'est son bonheur qui fait le prix de ses ouvrages ;
Je sais que Le Tartuffe a passé son espoir,
Que tout Paris en foule a couru pour le voir,
Mais avec tout cela quand on l'a vu paraître,
On l'a tant applaudi, faute de le connaître ;
Un si fameux succès ne lui fut jamais dû,
Et s'il a réussi, c'est qu'on l'a défendu.

Lettre en ligne sur Gallica, NP4.


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