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1625

Jean Barclay, Les Satires d'Euphormion de Lusines

Paris, Petit pas, 1625

Narration d'une pièce

L'un des chapitres du roman est tout entier consacré à la narration d'une pièce. Il s'agit dans l'ensemble d'une structure destinée à tenir un discours politique sur les guerres de religion :

Sujet de la tragicomédie de Hippophile et des Icoleontins. Chapitre XX.

Le théâtre était illustre à cause du poète et avait attiré le peuple. A peine les galeries étaient suffisantes pour les seigneurs, car nulle tragédie n’avait été plus ardemment désirée dans la ville. Celui qui sortit le premier pour déclarer le sujet le fit en fort beaux vers dont voici le sommaire.

[…]

Ce prologueur étant parti, l’on jeta parmi le peuple des billets de papier pour faire connaître le noms noms de ceux qui devaient lui être représentés, qui était tels : Lisipe, personnage qui avait bien étudié et était décédé l’année précédente en Icoléonte. Plus les ombres d’Hippophile et d’Albagon avait fait trancher la tête, ceux-là sortaient d’entre les morts. […] Les derniers étaient Tessaranacte, roi de Scolimorhodie et Protagon qui achevaient le jeu à leur profit. Au surplus, tous jouaient masqués et ne vis rien à découvert en la tragi-comédie de la paix. Après ces entrées, l’ombre de Lisipe sortit avec un visage pâle d’étude, enveloppé dans une robe blanche en la même forme qu’il l’a décrite aux anciens Romains. Il racontait qu’après son décès, il avait été élevé au ciel avec sa robe fourrée, où il n’avait reconnu aucun Mélandrien de ceux qu’il avait connus pendant sa vie. Tellement qu’il avait obtenu du Ciel de pouvoir descendre avec eux en je ne sais quel lieu, mais qu’il était maintenant revenu au monde pour accroître les politiques qu’il avait composées, des règlements de la république que l’on dit être dressée de nouveau en Icoléonte. Lisipe parlait encore lorsque l’ombre misérable d’Albagon sortit de derrière la tapisserie. Ses cheveux étaient comme hérissés pour la crainte des tourments. Sa barbe blanche mal peignée, ses yeux battus n’avaient pas encore perdu la férocité qu’ils avaient en vivant. Au reste, son corps était découvert pour être fustigé et, derrière lui, deux bourreaux avec des escourges sanglantes qui déchargeaient rudement leur colère sur lui. Mais je m’étonnai grandement quand je connus les bourreaux à leurs masques, car c’étaient Hippophile et Egore, l’un lui redemandait Icoléonte et l’autre se vengeait de sa tête. Il ne répondait aux coups et aux reproches que des soupirs. Donnez-moi, disait-il, quelque relâche afin qu’en perdant le sentiment de mon supplice je puisse représenter la vérité en présence de vous autres qui êtes arbitres de votre équité. Ils retinrent leurs coups et arrêtèrent leurs bras lassés pour le traiter par après plus rigoureusement. *Je parlerai, dit-il, premièrement à vous, Egore et vous vérifierai ma défense.

[s’en suit ladite défense sur plusieurs pages]

Après qu’Albagon eut récité ces choses ou autres semblables avec une voix lamentable, les bourreaux recommencèrent le supplice et l’ayant déchiré de fessée, le reconduirent derrière la tapisserie. Suivi un concert de musique peu agréable à mes oreilles, car l’on représentait des pêcheurs d’Icoléonte ivres de bière qui chantaient des vaudevilles vulgaires contre Liphippe. L’acte suivant contenait ces choses entièrement mémorables : Argyrostrate, général de l’armée de Labert se plaignait de n’avoir autant d’argent que Protagon et d’avoir employé tout son propre bien à l’entretènement des gens de Labert …

[s’en suit la paraphrase des discours]

Lorsque l’image des Indes abattues de disette et de bastonnades jusques au mourir fit de grandes clameurs contre la cruauté des Mélandriens, elle se plaignait, non sans faire gémir les auditeurs, que ses rois avaient été indignement massacrés, ses nations entières mises à la question et que les entailles même de la terre avaient été bouleversées par des labeurs avares. Et si cela, disait-elle, m’a été fait quand j’étais riche

[s’en suit le discours de l’inde]

Elle parla ainsi et s’étant efflanquée en soupirs, elle lava son visage avec une fontaine de ses larmes. Comme elle retournait à la tapisserie, sortirent d’un autre côté les gens de Labert qui, avec des voix séditieuses, disaient que ni Argyrostrate ni l’Indie ne gagneraient tant sur eux que de leur faire garder l’enseigne sans solde. Labert prenait un livre de l’ancien sacerdoce et semblait conjurer les mauvais esprits, mais tous aiment même religion et bien qu’il menât sa main en l’air, il n’en fit fuir un seul. Le choeur fut des soldats de Labert qui, avec beaucoup de vanité, élevaient leurs forces tant contre leur maître que contre les ennemis. Je remarquais ceci du troisième acte. Despoticyre, le roi Liphippe, Leucos, intendant de la dévotion secrète, Perdée avec son mari, Labert et Charidot, chef du conseil, traitaient des affaires d’Etat en un conseil très secret. Il n’y eut rien de plus plaisant que d’entendre Liphippe demander à Leucos, savoir s’il pouvait en conscience traiter d’accord avec des gens de religion différente. Celui-là tourna aucunement les yeux sur sa robe emmanchée et demeura ainsi jusques à ce qu’il eût ridé son front, puis répondit que cela se pouvait faire si la disette d’argent empêchait de faire la guerre, moyennant que l’on retint fermement cette résolution en l’âme de n’entretenir les serments qui seraient faits à telles gens

[s’en suit la discussion]

Vinrent en après au quatrième acte les principaux d’entre les Icoléontins pour aviser par quel moyen ils gouverneraient la république. Le temps de la guerre venait après l’hiver. Protagon envoyait la pension accoutumée, laquelle ils enfermaient en leur trésor et dissimulaient leur courage tendant à la paix si les Mélandriens leur proposaient l’accord. Et peu après venaient des gens de Labert avec l’Olive, ils portaient la trêve et la paix avec des conditions incroyables. L’on leur accordait les qualités éclatantes de liberté et de république, il n’y avait rien plus doux que les Mélandriens et la troupe confédérée considérait attentivement en quel lieu ils avaient dépouillé leur naturel. Puis, se voyant chargés de tant de promesses, combien qu’ils n’y ajoutassent foi entièrement, ils discouraient ainsi ensemble.

[S’ensuit le débat]

La dernière partie de la tragédie était elle. L’on faisait l’accord de part et d’autre, et les prédictions de Charridot le verifiaient avec une funeste vérité. Les villes d’Icoléonte superbes d’une paix inaccoutumée combattaient entre elles pour le commandement et les Melandriens, comme s’ils eussent été en guerre contre Protagon, s’épandaient dans les campagnes d’Icoleonte. Vous les eussiez vus étonnés de pertes inopinées et appeler Tessaranacte à leur secours et lui ouvrir leur villes, le nom de République s’abolissait et étaient rendus sujets de Tessaranacte. D’autre côté, les armes de Protagon battaient Labert, des terres duquel Protagon s’emparait et Tessaranacte de la République.

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