Par support > Anecdotes, ana, historiettes, … > Le Gascon extravagant

 

1637

Onésime Sommain Claireville, Le Gascon extravagant

Paris, Besogne, 1637.

Les auteurs et la critique

Le développement ci-dessous dénonce le rapport qu'entretiennent les auteurs avec la critique et la manière dont ils distribuent les louanges envers leurs collègues.

Après que je vis que la liberté m’était donnée et que je pouvais hardiment dire mon opinion, je me fis connaître pour homme qui savait faire des vers et qui me mêlais de censurer quelques pièces que je leur avais vu représenter. Le poète qui était à leur gage, et qui ne mangeait point d’autre pain que celui qui procédait du théâtre, appréhendait que ma rencontre ne lui fût en préjudice. C’est pourquoi la jalousie, entrant dans son esprit, lui persuada de me nuire pour m‘éloigner d’un lieu qui lui donnait trop d’ombrage. Et souffrant avec regret la hardiesse que j’avais à louer les bonnes choses et à blâmer celles qui me choquaient et me semblaient défectueuses en quelques parties, n’osait pas se déclarer ouvertement et ne parlait contre moi qu’alors que je n’étais pas présent pour me défendre. Il était de l’humeur de ceux qui ne veulent de compagnons dans leur profession que le moins qu’ils en peuvent recevoir et, quoiqu’ils trouvent de bonnes choses en eux, ils les censureront toujours pour se faire estimer capables et pour détruire la réputation de ceux qu’ils ne peuvent souvent imiter, quoiqu’ils les fassent passer pour faibles. Les poètes ont ceci particulièrement affecté, c’est que, s’il reconnaissent une pièce moindre que celle qu’ils auront déjà fait courir et dont ils auront reçu de la louange, ils ne feront point de difficulté de l’approuver et persuaderont fort volontiers qu’elle doit paraître en public. Mais ce n'est qu’à dessein de de faire davantage estimer ce qu’ils auront fait. Car comme le jour la chandelle ne paraît pas à cause du grand éclat du soleil, aussi une mauvaise chose sert ordinairement pour en faire estimer une meilleure. Une mouche, ou quelque tâche d’encre, fait davantage reconnâitre la blancheur à quoi elle est opposée, et la laideur donne de l’éclat à la beauté. Ainsi les poètes ont accoutumé de louer les mauvaises choses afin de faire priser leur ouvrage et d’en surhausser d’autant plus l’estime, et blâment celles qui leur donnent de la jalousie. […]

Edition de 1639 disponible sur Google Books.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »