1639

Tristan L'Hermite, Panthée

Paris: A. Courbé, 1639

Mondory, coloris de la peinture dramatique

Dans l'avis au lecteur de sa tragédie, Tristan l'Hermite justifie l'échec de sa pièce par l'absence du comédien Mondory dont il fait l'éloge.

Au reste, j'ai cru toutefois que cette tragédie ne manquerait pas d'agrément et que cette maîtresse avait des amants aussi bien que l'autre. Mais elle n'était pas née sous une assez bonne constellation pour répondre à mon espérance : elle s'est sentie du funeste coup dont le théâtre du Marais saigne encore et pris part en la disgrâce d'un personnage dont elle attendait un merveilleux ornement. Il est aisé de deviner que c'est de l'accident du célèbre Mondory qu'elle a reçu du préjudice. Sans mentir, on peut dire que ce n'est pas un homme vulgaire et, sans offenser beaucoup d'excellents comédiens, je puis lui donner de grandes louanges. Cet illustre acteur ne tient point sa gloire du hasard, ou de l'aveuglement des hommes : c'est par de merveilleuses qualités qu'il a forcé toute la France de rendre justice à son mérite et qu'il aurait obtenu de l'Antiquité des couronnes et des statues. Jamais homme ne parut avec plus d'honneur sur la scène ; il s'y fait voir tout plein de la grandeur des passions qu'il représente et, comme il en est préoccupé lui-même, il imprime fortement dans les esprits tous les sentiments qu'il exprime. Les changements de son visage semblent venir des mouvements de son cœur, et les justes nuances de sa parole et la bienséance de ses actions forment un concert admirable qui ravit tous ses spectateurs. C'est de ce miraculeux imitateur que j'attendais le coloris de cette peinture et c'est celui qui lui devait donner tout ensemble de la grâce et de la vigueur. Sans cette espèce d'apoplexie dont il n'est pas encore guéri parfaitement, il aurait fait valoir Araspe aussi bien qu'Hérode, et donné de favorables impressions de cet ouvrage avant qu'il paraissent sur le papier. Aussi je te dirai, lecteur, que j'ai presque perdu, depuis son mal, la disposition d'esprit que j'avais pour écrire en ce genre dramatique ; et que n'était que Monseigneur le Cardinal se délasse parfois en l'honnête divertissement de la comédie, et que son Éminence me fait l'honneur de me gratifier de ses bienfaits, j'appliquerais peu de mon loisir sur les ouvrages de théâtre. C'est un labeur pénible, dont le succès est incertain. Et quand même on serait assuré d'en obtenir des applaudissements et des louanges, ce serait beaucoup se travailler pour ne rien acquérir que du bruit et de la fumée.

Préface en ligne sur la Bibliothèque numérique du Limousin, p. 14-15


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