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1668

Charles de Saint-Évremond, Lettre au comte de Lionne

Le texte et l'interprétation du comédien

Dans une lettre au comte de Lionne datant de mars-avril 1668, Saint-Évremond compare Attila et Andromaque en développant une réflexion sur la complémentarité du texte et du jeu de l'acteur Montfleury pour assurer le succès des pièces :

À peine ai-je eu le loisir de jeter les yeux sur Andromaque et sur Attila ; cependant il me paraît qu'Andromaque a bien de l'air des belles choses, il ne s'en faut presque rien qu'il n'y ait du grand. Ceux qui n'entreront pas assez dans les choses, l'admireront ; ceux qui veulent des beautés pleines, y chercheront je ne sais quoi qui les empêchera d'être tout-à-fait contents. Vous avez raison de dire que cette pièce est déchue par la mort de Montfleury : car elle a besoin de grands comédiens qui remplissent par l'action ce qui lui manque. Mais à tout prendre, c'est une belle pièce, et qui est fort au-dessus du médiocre, quoiqu'un peu au-dessous du grand. Attila au contraire a dû gagner quelque chose par la mort de Montfleury. Un grand comédien eût trop poussé un rôle assez plein de lui-même, et eût fait faire trop d'impression à sa férocité sur les âmes tendres. Ce n'est pas que cette tragédie n'eût été admirée du temps de Sophocle et d'Euripide, où l'on avait plus de goût pour la scène farouche et sanglante, que pour la douce et la tendre ; tout y est bien pensé, et j'y ai trouvé à mon avis des plus beaux vers du monde. Pour le sujet et l'économie des pièces, je n'ai pas eu le loisir d'y faire la moindre réflexion.

éd. R. Ternois, Paris, Marcel Didier, 1967, t. I, p. 136-137.


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